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Le blogue de David Desjardins

Pour l’amour du Tour

19-07-2017

Chaque année, donc, je me plains de la fin août au début juin, maugréant contre le Tour au détour d’une journée formidable à la Vuelta, au Giro et où d’une classique particulièrement exaltante.

Refrain habituel : bah, c’est rendu que (insérez le nom de la course ici), c’est mieux que le Tour.

Je crois même avoir, une fois, texté cette phrase à un ami en parlant de Milan San Remo, la course la plus ennuyeuse qui soit (sauf ses 15 derniers kilomètres… sur 300).

C’était évidemment n’importe quoi. Aucune classique, aucun monument n’arrive à la cheville du Tour. Et ce n’est pas un bidon collant dans le Poggio ou un Sagan lancé en solitaire dans les Flandres qui y changeront quoi que ce soit, quoique j’en pense.

Le Tour est comme tous les géants, les champions. Il est comme Chris Froome. C’est le champion mal aimé. Le grand frère qui devrait être exemplaire, et ne l’est forcément jamais.

J’ai beau râler, chaque année, le Tour finit par m'avoir. Il y a toujours du drame. Et tout y prend des proportions quasi-homériques. Parce que l’enjeu est immense, parce que tout est démesuré. Parce que c’est la France et que la France s’imagine au centre du monde.

Oui, la domination des Sky-bots englue la course au classement général, mais le Tour est truffé de moment de gloire qui m’emballent . Souvenez-vous, il y a quelques années seulement, les pavés mouillés, tout bascule dès le départ, Froome abandonne et Nibali amorce un parcours sans faute vers la victoire. Et l’an dernier, un Greg Van Avermaet qui s’en allait gagner les Olympiques quelques semaines plus tard et s’envole en solo pour porter le jaune. Et au fil des ans, tous les de Ghent, les Cummings, les Roglic, les Pauwels, les Dumoulin qui s’évadent, tentent tout et réussissent à toucher à la gloire. À eux seuls, ils animent si bien la course de l'avant qu'on en oublie celle, un peu prévisible, qui se joue à l'arrière…

Sauf cette année! Regardez comment on s’amuse, le classement général n’ayant jamais été aussi serré, les arrivées et leurs secondes de bonification deviennent d’importants enjeux.

Sans parler de tous les autres récits au centre ou dans la marge, qui abondent.

Il y a Contador dont l’étoile s’étiole. Et Porte qui s’écrase dramatiquement au sol. Il y a des cassures dans le vent qui coûtent ses chances à Dan Martin. Bardet qui s’envole, et qui anime une première fin de course dans les Alpes. Et il y a Uran, une révélation de ce Tour, alors qu’on avait relégué le talentueux Colombien dans les marges de la course. Personne ne le voyait là, on devinait plutôt la Cannondale en quête de victoires t’étapes Mais le parrain du renouveau cycliste colombien débarque en affichant une forme sublime, entrant dans la légende en remportant une épreuve au sprint avec une seul vitesse fonctionnelle pendant les derniers kilomètres: la 53×11.

On ne s’ennuie jamais, finalement, sur le Tour. Sagan chassé. Le ravitogate. Bouhanni qui donne des claques sans en recevoir de la part du jury de l’UCI. Kittel qui domine, Kittel qui abandonne au pied des Alpes.

Et le champion du monde parti, la course au maillot vert provoque de bien belles choses chez les Sunweb qui pourraient bien, désormais, remporter cette tunique en plus de celle à pois, Warren Bargil étant presque assuré de la conserver jusqu’à Paris.

Puis il y a tous ceux dont c’est le premier Tour. Dont deux, chez Cannondale, qui ont aussi porté les pois.

Nathan Brown, mais aussi Taylor Phinney, qui donne des entrevues complètement déjantées, en mode Stoner, nous rappelant le débit empâté des personnages du film d’ados Dazed and Confused. Le décalage est adorable. Phinney évolue sur une autre galaxie que les athlètes ennuyeux dont les discours prédigérés ont aussi été préapprouvés par l’équipe de presse.

Alors voilà, j’aime le Tour. C’est quand même le seul moment de l’année où le seul sport qui m’intéresse vraiment est aussi important que tous les autres. Alors il accapare tellement de lumière des projecteurs qu’on en perçoit tous les défauts, jusque dans le contour des ombres qu’il projette. Mais j’y reviens tout le temps, sachant qu’il y aura de nouvelles histoires, que la légende sera augmentée de nouveaux mythes, et que même ses longues étapes ennuyeuses s’accordent finalement au rythme indolent de l’été.

Le Tour est un peu comme la vie. Entre frénésie et ennui, peuplé de gens géniaux et de cons absolus. C’est un condensé de l’humanité qui roule à plein régime jusqu’aux Champs Élysées.

C’est un cirque. Un spectacle. C’est beau et c’est laid. C’est la vie. Et c’est particulièrement la mienne : mes héros, mon territoire sportif fait de pourcentages de pentes, de vitesse, de watts, de fréquences cardiaques et de cadence de pédalage. C’est le vélo qui entre dans les conversations avec des amis qui n’en connaissent que le Tour. J’en deviens fou, faut croire, et j’exige le meilleur du Tour. Je le veux parfait.

Ce qui, forcément, me condamne à la déception.
 

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