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Majorque, éden cycliste

03-04-2014

Malgré le temps frisquet et ce crachin qui ne semble pas vouloir cesser, aucun des vingt cyclistes québécois ne se fait prier pour enfourcher sa bécane dès le lendemain de notre arrivée à Palma de Mallorca, la capitale. Nous la quittons via son réseau de pistes cyclables.

Quelques-uns d’entre nous feront un arrêt à la cathédrale de La Seu, histoire de faire bénir leur monture à l’aube de ce périple de deux semaines. Bien que Palma soit de loin la plus grande ville de Majorque (et des Baléares), il est rare de voir un édifice religieux si spacieux pour une population de 400 000 âmes. En termes de grandeur, La Seu se classe juste après celle de Séville, en terre ibérique. Sa construction, dédiée à la Vierge Marie, a débuté en 1229 sous les ordres de Jacques 1er d’Aragon, alors qu’il venait tout juste de reprendre l’archipel des Baléares aux armées musulmanes, rasant du même coup la grande mosquée de Madina Mayurqa.

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Guten Tag

Nous nous dirigeons vers Colónia de Sant Jordi, à 60 km à l’est de Palma. Premier constat : ici, les cyclistes sont quasiment majoritaires sur les routes. On est à la fin d’avril, et les touristes germaniques, qui se comptent par centaines, envahissent Majorque. Précisons qu’on est à quelques jours du 70.3 Ironman Mallorca. Les pelotons défilent les uns après les autres, nous saluant au passage. Un cycliste nous tend son appareil photo. «Guten Tag! Können Sie bitte ein Foto von mir machen ? » Devant notre air ébahi, il s’exclame: «You’re not German! Every cyclist here is German! Where are you from?» Les présentations faites, il reformule sa demande en anglais, et nous l’immortalisons devant son rutilant Cube.

Majorque est aux Allemands ce que la République dominicaine est aux Québécois: une station balnéaire économique où abondent les hôtels tout compris et desservis par de nombreux vols nolisés. Parallèlement à cette réalité se développe une forme de tourisme plus actif, et le vélo y occupe une large part.

Tant de cyclistes au kilomètre carré serait synonyme, à bien des endroits, de chaos et d’animosité à l’égard des automobilistes, et réciproquement. Pas ici. Oh, que nein ! Et cela pour une foule de raisons. Primo, plus les cyclistes sont nombreux, plus ils font partie du paysage, mieux on apprend à cohabiter avec eux, masse critique oblige. Secundo, Majorque vit essentiellement du tourisme, et de nombreux visiteurs choisissent le vélo; les Majorquins ont l’habitude de leur présence. Tertio, une campagne de sensibilisation a porté ses fruits, et sur des panneaux, on indique clairement que l’automobiliste doit dépasser un cycliste en laissant entre eux un minimum de 1,5 m de distance. Zéro klaxon, zéro comportement agressif d’un côté comme de l’autre, et ce, malgré une fréquentation parfois soutenue.

Il n’y a pas que des amateurs comme nous qui se rendent à Majorque pour profiter des conditions de route exceptionnelles. Les Allemands de la T-Mobile, dont Jan Ullrich, en avaient fait un camp de base d’avant-saison, et plusieurs équipes professionnelles y tiennent des camps d’entraînement: Cannondale, RadioShack, Lotto ­Belisol, Sky… Le Britannique Bradley ­Wiggins fait des routes de l’île son terrain de jeu pré-Tour de France. Après tout, le premier Tour de Majorque s’est déroulé en 1913, et déjà quelques courses de vélocipèdes avaient eu lieu à la fin du XIXe siècle.

Les pros ont quelques routes de prédilection : Sa Calobra et cap de Formentor. Quant au bitume entre Port de Pollença, Alcúdia et Can Picafort, il est idéal pour travailler les sprints et les contre-la-montre. Malgré cette prédisposition cycliste, la vedette sportive de Majorque est incontestablement le tennisman Rafael Nadal. Il y est né et y habite encore. Parlez-en à Karine, la plus jeune des cyclistes du groupe, qui au hasard d’une promenade à Porto Cristo est tombée sur lui. Alors qu’elle essaie de mettre la main sur son appareil photo enfoui au fond de son sac, son père tente de l’en dissuader: «Tu ne vas tout de même pas le photographier, tu vas passer pour une groupie!» Mais Karine est toute fière de me montrer son iPhone où apparaît un cliché de Nadal… de dos. «Je te jure que c’est lui!»…

Nous roulons le long de la côte et croisons bon nombre de troupeaux de vaches, de moutons et d’autruches, ce qui ne nous empêche pas de respirer à pleins poumons l’air frais et salin. Le voyage commence vraiment, et qui plus est, on annonce plus doux pour les prochains jours.

Notre périple de 1000 km nous amène à parcourir le pourtour de l’île et à nous enfoncer dans ses terres. Nous allons d’abord vers l’est : ça tombe bien, c’est plat (à moins de quitter le littoral). La partie ouest – même sa côte – est beaucoup plus montagneuse. Nous longeons la Méditerranée jusqu’à Porto Cristo et de là, nous pénétrons dans l’arrière-pays, question de nous frotter à un peu de dénivelés.

Une première montée plutôt abrupte de 4 km nous conduit à l’Ermita de Nuestra Señora de Bon Any, d’où on peut admirer la vue sur la Sierra del Norte et la baie d’Alcúdia. Un peu plus loin, nous nous attaquons à une seconde montée d’un dénivelé moyen de 6,5% sur 4,8 km, jusqu’au monastère Sant Salvador, un parcours classique fréquenté par maints cyclistes. Son interminable descente tout en courbes ravit les plus téméraires.

Après un bref aperçu de l’île dans ses éminences, nous descendons dans son sous-sol, délaissant nos montures pour visiter les grottes du Drach, qui atteignent une profondeur de 25 m pour une longueur de 2,4 km. Le point fort de la visite : le lac Martel, baptisé en l’honneur d’Édouard-­Alfred Martel, spéléologue français qui en a fait la découverte en 1896. Long de 170 m, il est l’un des plus grands lacs souterrains d’Europe. À la toute fin de la visite, nous avons droit à un court concert de musique classique inaccoutumé : les musiciens viennent vers nous à bord d’une barque éclairée. Magique.

Pour continuer l’aventure souterraine, 2 km plus loin, les grottes d’Artá méritent le détour, ne serait-ce que pour leur majestueux escalier extérieur. La légende raconte que c’est ici que Jules Verne aurait tiré son inspiration pour son roman de science-­fiction Voyage au centre de la terre, publié en 1864.

Infatigables, nous mettons le cap sur l’ermitage de Betlem, bâti à 322 m d’altitude au XIXe siècle par la Congrégation des ermites de Saint-Paul et Saint-Antoine. La route qui y mène est un pur enchantement : 7 km de douce montée suivis de 2 km de descente, une série de courbes, des vues sur la mer et un paysage d’une grande beauté. Pour ajouter au bonheur, cette route étroite est surtout empruntée par des cyclistes. Parvenus à son sommet, séduits, nous avons envie, tels des ermites, d’y couler des jours paisibles. Ça ne dure pas – nous sommes des hyperactifs, après tout. En moins de deux, nous avons regagné notre monture et nous enfilons les lacets jusqu’en bas. Passons maintenant aux choses sérieuses. Aficionados de la grimpette, à vos cycles !

Entre mer et montagnes

Difficile de décrire sans verser dans l’excès le cap de Formentor, étroite et longue presqu’île qui s’avance dans la mer. Une route longue de 18 km se fraie difficilement un chemin au milieu des montagnes qui plongent spectaculairement dans la mer. À chaque coup de pédale, une seule envie: s’arrêter pour profiter de la magie de l’endroit. Dans l’interminable montée, nous ne ressentons aucune douleur, envoûtés par ce qui nous entoure. Au passage, une plage ouvre sur la baie de Pollença, puis sur la calanque de Figuera. Les plus chanceux y apercevront des cabris. Les cyclistes qui atteignent son sommet – les abandons sont légions, surtout par journée venteuse – vivent un peu un état de grâce, mélange de fierté et de vénération des lieux. Tout en haut, le phare construit en 1857 est niché sur une falaise surplombant la mer, 210 m plus bas. Il est conseillé d’attaquer le cap de Formentor au lever du jour, avant que les touristes et leurs autocars n’envahissent le coin. Sa descente est tout autant enivrante pour qui sait naviguer dans les méandres.

On rend rarement hommage aux ingénieurs routiers, ces artistes qui contribuent au bonheur des cyclistes. Or, un mémorial dédié à Antonio Parretti, artisan de la route que nous venons de gravir, a été érigé dans le stationnement du belvédère d’Es Colomer. Ses admirateurs décrivent son travail en ces termes: «Parretti sut utiliser au mieux le relief de la Serra d’Albercutx, dessinant des virages partout où la pente le permettait, et ne creusant la roche que là où la pente était trop forte. La construction de la route fut très difficile, les ouvriers devant parfois être attachés aux arbres pour éviter de tomber dans la mer depuis les hautes falaises.» Le résultat: un ruban de soie niché dans la montagne.

La journée suivante nous réserve 2170 m de dénivelé positif. La première montée sera de 7 km et suivie d’une vertigineuse descente de 7 km vers Sa Calobra (« serpent », en catalan). De là, deux options : un traversier vers Port de Sóller, ou la longue montée de 9,6 km à 7% de dénivelé. La très bien nommée route Sa Calobra, tel un long reptile qui s’entortille, mène au col de Reis (682 m) par une succession de virages en épingle à cheveux, offrant des vues à couper le souffle. Nous apprendrons plus tard que la Sa Calobra est considérée comme le chef-d’œuvre du maestro Parretti. Décidément, notre ingénieur aimait bien les cyclistes, et on le lui rend bien. Avant de gagner Port de Sóller, nous faisons un arrêt dans la charmante commune de Fornalutx, nichée au creux d’une crique et entourée de plantations d’orangers et de citronniers.

Les trois cols

Le périple s’achève déjà, et certains d’entre nous ont bien envie de relever d’autres défis. Et si nous nous offrions trois cols en une seule journée ? Plus précisément : deux fois le même col, celui de Sóller, et un autre pour l’honneur, le col de Honor. Défi accessible. Partis très tôt, nous avons eu le col de Sóller pratiquement à nous seuls. C’est une interminable et enivrante route comptant pas moins de 42 virages très serrés à la montée et de 22 dans la descente, le tout présentant un dénivelé modeste. Les environs du col de Sóller sont la porte d’entrée de la Serra d’Alfàbia, l’une des régions les mieux préservées de l’île. Les amateurs d’horticulture ne manqueront pour rien au monde les fabuleux jardins d’Alfàbia. Du moins, c’est ce qu’on en dit, car étant plus attiré par les cols que par les fleurs, je poursuis ma route vers celui de Honor, qui culmine à 550 m avec un modeste 5,7 % de dénivelé pour 6,1 km, le tout sur une route qui suit une rivière. Les vues sont moins nombreuses qu’ailleurs sur l’île, mais il s’en dégage une telle sérénité… est-ce à cause des nombreux troupeaux de moutons croisés au passage?

Pour bien terminer la journée, nous nous faisons le plaisir de gravir le col de Sóller une seconde fois, mais dans l’autre sens, pour regagner Port de Sóller, où nous piquons une tête dans une mer plutôt fraîche en ce début de saison.

La route des villages

Toute bonne chose a une fin. Nous regagnons la capitale en longeant la côte, non sans faire arrêt dans trois coquets villages. D’abord Valldemossa, blotti dans la Serra de Tramuntana qui regorge d’oliviers et d’amandiers, est formé d’un dédale de rues étroites où chaque demeure est fleurie. Chopin et Georges Sand y ont habité durant l’hiver 1838-39. On peut y déguster le coca de patata, délicieuse pâtisserie à base de pommes de terre.

Deià, pour sa part, domine la mer du haut de son promontoire rocheux. Surnommé le «village des artistes» en raison du grand nombre de célébrités qui l’ont fréquenté – on pense à Pierce Brosnan, Anaïs Nin et autres Andrew Lloyd Webber. Plus du tiers des habitants sont des étrangers, et on y utilise surtout l’anglais. Quelques autochtones en parlent comme d’un «ghetto de l’aristocratie et de l’argent».

Quant au village de Banyalbufar, il était à l’origine un vignoble et a été construit sur les terrasses où étaient plantées les vignes. Pour le meilleur point de vue, il suffit de se rendre à la tour de guet de Ses Ànimes, symbole de l’endroit.
Majorque est à la hauteur de sa réputation. Pas étonnant que des milliers de cyclistes s’y rendent chaque année pour sillonner ses routes. Bien plus qu’un banal terrain d’entraînement ou une station balnéaire ouverte à l’année, la belle des Baléares regorge de fabuleuses découvertes.

Notre journaliste s’est joint à un groupe de Vélo Québec Voyages.
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