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Hors-Québec

Les Pouilles, bleu turquoise, vert olive

07-03-2016

Un coup de marteau par-ci, un coup de peinture par-là, le village de Maruggio attend impatiemment les premiers vacanciers. En mai et en juin, on prépare la saison, on redore les façades. Les commerces n’ont pas des heures d’ouverture très étendues, les rues sont peu fréquentées. Comme si les Apuliens (le nom des gens de l’endroit, de l’ancien nom du lieu, Apulie ; et « pouilleux » serait bien mal venu…) pratiquaient la dolce vita avant l’affluence touristique. Le ciel, lui, ne se repose pas. D’un bleu intense, il tente de rivaliser avec celui de la mer Ionienne.

 

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C’est sans aucun doute la grande bleue, la belle Méditerranée, qui incite bon nombre d’Italiens à se déplacer vers le talon de la botte. À l’ouest, l’ultramarin de la mer Ionienne et à l’est, l’Adriatique. La couleur dominante dévoile plusieurs facettes, suivant la lumière et la profondeur de l’eau. Foncée quelquefois, elle s’éclaircit quand le sable n’est pas loin. Certains jours, le bleu devient cyan, turquoise, aigue-marine ou saphir. Notre petit groupe de cyclistes de Vélo Québec frémit de bonheur en pédalant sur la route qui frôle la mer. Il y a de quoi : pas de relief marquant, un beau bitume et peu de circulation, parfait pour se délier les jambes après un voyage en avion, pas mal d’heures de bus et un hiver trop long. Les rochers succèdent au sable, les villages sont tranquilles, à peine dérangés par le bruit des vagues.

Il est temps de quitter le littoral, histoire de voir ce qui se trame à l’intérieur des terres. Une partie de la gang de cyclistes bifurque vers Pulsano. Il suffit de faire quelques centaines de mètres pour saisir ce qui constitue, après les 800 km de bord de mer, l’or vert des Pouilles : l’olivier, roi des lieux. Disposés en ligne droite comme des soldats à la parade, ils poussent malgré le sol asséché et la caillasse. Leur croissance semble difficile : le tronc est tortueux, l’écorce épaisse et crevassée cachant un bois dur. Cela leur donne une allure de grand-père. Au cours de notre périple dans les Pouilles, nous allons en voir des milliers, quelquefois entretenus et bien alignés, ailleurs poussant comme de la mauvaise herbe entre deux cailloux. Si certains arbres sont délaissés et mènent paisiblement leur vie de retraité (ils sont moins productifs après 150 ans…), il y en a qui sont bichonnés par leur propriétaire. La terre sèche qui les entoure est ratissée et les plus grosses pierres sont retirés, renforçant du même coup les murets qui entourent les champs.

La perle de la mer Ionienne

Rejoindre Gallipoli, cette fameuse perle de la mer Ionienne, n’est pas compliqué. Il suffit de suivre le littoral, une succession de plages de sable et de dunes sur votre droite, quelques villages de pêcheurs, d’autres qui attendent le touriste, et vous y êtes presque. Vous verrez d’abord les murs de sa forteresse qui dominent la baie. De là, la vue est superbe sur le golfe de Tàranto côté mer et sur la région du Salento côté terre.

Offrez-vous une boucle à l’intérieur des terres. Les petites routes bordées d’olivaies protégées par des murets de pierre calcaire vous guideront vers de belles villes marquées par la culture byzantine, les moines orthodoxes grecs ayant construit ici les premiers lieux de culte.

Le vélo est sans doute le meilleur moyen de sillonner les routes du Salento. Pas très larges, elles sont en bon état. Les automobilistes roulent à vive allure, mais comme ici les cyclistes font partie du paysage, ils sont respectés : il ne faudrait tout de même pas risquer de blesser un Nibali en devenir… Les oliviers abondent, quelquefois flanqués de drôles de constructions en pierres grossièrement assemblées entre les arbres. Ce sont les paggiahre[DB1] , des greniers à olives ; généralement ronds en forme d’igloo, ils ont le plus souvent une seule ouverture. Si votre vélo est doté de pneus un peu larges, ne vous privez pas d’emprunter les tratturi, ces anciens sentiers de transhumance qui serpentent entre les cultures.

En quittant Gallipoli, on a un œil sur la route, l’autre sur la baia verde. La plage qui doit être bondée en haute saison donne sur une eau étincelante de lumière. Difficile de résister à l’envie de s’y précipiter !

Une fois que nous sommes sortis de la baie, la côte rocheuse reprend le dessus. En période de paix, on apprécie le panorama, alors qu’aux époques plus mouvementées, une surveillance s’imposait, et une succession de tours de guet ont donc poussé le long de ce littoral. Elles sont basées sur une architecture unique : plutôt rondes, et dotées d’un imposant escalier central extérieur tourné vers le continent ainsi que d’un sommet à créneaux.

Le bout de la terre

À Santa Maria de Leuca, vous êtes au bout de la terre, exactement à la pointe du talon aiguille de la péninsule italienne. À tribord, la mer Ionienne, à bâbord, l’Adriatique. Grimpez obligatoirement les 254 marches vers le phare et la Basilica Santuario di Santa Maria de Finibus Terrae : la terrasse en face de la basilique, sous la bénédiction de la statue de bronze du pape Benoît XVI, offre une magnifique perspective sur cette pointe du bout du monde. Faute de les voir, imaginez la côte albanaise pas si loin sur la gauche, la Grèce en face, loin loin devant les côtes libyennes et, dans le prolongement de la chaussure italienne, la Sicile en guise de ballon de foot.

Ouvrez grand les yeux, les 60 km qui suivent méritent sans conteste le podium des plus beaux parcours du voyage. Entre Santa Maria de Leuca et Otranto, la route longe la mer Adriatique. Fini la plage et le sable chaud, voici les escarpements et les rochers sculptés par les vagues. La route monte tranquillement, surplombant l’immense étendue d’eau. Elle prend de délicieuses courbes avant de redescendre et de remonter. Comment ne pas plonger son regard vers la mer ? C’est que le vert vire au bleu suivant la profondeur de l’eau, la falaise, érodée, laisse quelquefois l’eau s’engouffrer dans des grottes creusées patiemment par les vagues. La grotte de Zinzulusa vaut le coup d’œil. Entre la route et la mer, chaque lopin de terre en escalier est utilisé et délimité par des murets. Les oliviers et les cactus s’autorisent à occuper la place. Surtout, ne pas hésiter à tourner vers Gagliano del Capo afin de voir la terre rouge et les oliviers sur fond de mer couleur de ciel.

En revenant sur la côte, ne manquez pas non plus de vous arrêter dans les marinas voir se balancer doucement les bateaux de pêche traditionnels, dont le bleu des costumes se distingue à peine de celui de l’eau. Ici, on pêche au lamparo. De gros projecteurs attirent le poisson ; quand le faisceau lumineux baisse d’intensité, le poisson reste dans le halo de lumière, et il suffit de donner un coup de filet au bon endroit.

Entre San Cesarea Terme et Otranto, la route s’élève encore. Un petit mur blanc cache à demi la vue sur les falaises et la mer.

Question de nuance, peut-être, il semblerait que la façade Adriatique soit plus spectaculaire que l’Ionienne : des maisons cossues, des villages proprets et sans doute un tourisme plus fortuné. Le paradis sur terre se trouve d’ailleurs pas très loin. Entre Lecce et Brindisi, au bout d’une piste cyclable qui termine abruptement (une spécialité locale !), la Masseria Provenzani ouvre ses portes à qui ose entrer : un moulin à huile, de vieilles pierres qui se dorent au soleil et une cuisine lumineuse. À défaut de se contenter d’un café, comme nous l’avons fait, on peut ici prendre des cours de cuisine et même se marier !

La surprise suivante vous attend à Alberorello. Alors qu’on gravit les ruelles pavées, le regard est immanquablement attiré par une ribambelle de maisons rondes aux toits coniques.

L’ensemble ressemble aux maisons du village des Schtroumpfs, sauf qu’elles sont blanchies à la chaux et surmontées d’un toit de pierre. Les trulli (trullo, au singulier) sont des habitations traditionnelles rurales. En principe temporaires ou saisonnières, elles sont devenues permanentes à Alberorello. Il faut sillonner les rues pavées, chercher les pinacles, ces ornements déposés sur les faîtes des toits et [DB2] censés repousser les mauvais esprits. Comme quoi quelques croyances archaïques sont encore d’actualité !

La Toscane des Pouilles

Ce n’est pas pour rien que la région de Matera est souvent présentée comme la Toscane des Pouilles : place aux douces sinuosités, à un relief plus prononcé et à quelques villages hauts perchés. Se lancer dans le tour du Parco della Murgia Materana vaut la peine. La route peu passante épouse les vallons entre les champs de blé, s’éloignant des oliviers et du bord de mer. Le Grand Prix de la montagne du séjour se pédale en montant les lacets vers Montescaglioso. Six petits kilomètres d’effort avant d’arriver sur la place du village, de déguster un gelato et de redescendre en admirant les environs. Le retour vers Matera se mérite : on grimpe et on grimpe encore avant d’apercevoir les premiers Sassi, ces habitations troglodytiques. Il y a près de 3000 grottes/maisons à Matera, le plus souvent en bord de ravin ou de falaise. Le mieux est de délaisser votre vélo et de sillonner les rues pavées, et en particulier les escaliers de la vieille ville. L’endroit semble béni des dieux. Après tout, Pier Paolo Pasolini a tourné ici L’évangile selon Saint Matthieu et Mel Gibson, La Passion du Christ.

L’or vert des Pouilles

Cinquante millions d’oliviers poussent dans la région des Pouilles. Aisément la première productrice oléicole de la péninsule, la région fournit à elle seule 12 % de la production mondiale. Ce n’est pas étonnant que l’olivier ait l’allure d’un noueux mais robuste grand-père : il est capable de vivre longtemps, très longtemps. Le bruit court que certains arbres de l’actuel Jardin de Gethsémani, à Jérusalem, ont connu Jésus.

L’huile d’olive a bien des qualités, autant par son goût que pour la santé grâce à ses propriétés antioxydantes. Rien n’empêche de l’utiliser froide comme du beurre sur du pain, ou chauffée pour cuire les légumes. Cueillie plus tôt, l’olive encore verte est consommée confite dans la saumure agrémentée d’aromates. Celle dont la noirceur provient d’une plus grande maturité séjournera plus longuement dans la saumure avant d’être dégustée.

Il y a cependant une grosse inquiétude concernant l’avenir de l’or des Pouilles. Depuis le printemps 2015, la bactérie Xylella fastidiosa attaque plus intensément les arbres de la région, où près de 10 % des oliviers sont touchés. Elle dégrade les feuilles puis le tronc, jusqu’à provoquer la mort de l’arbre. Comme il n’y a pas de remède permettant d’éradiquer cette bactérie, la seule solution est de l’empêcher de se répandre en éliminant les arbres malades. Une démarche pas évidente pour les oléiculteurs qui doivent ainsi détruire une partie de leur héritage familial que sont ces arbres centenaires.ENCADRÉ 3

Primitivo, cerises et olives

Si les Grecs avaient baptisé la région des Pouilles Enotria (« terre des vins »), il y a bien une raison. Les cépages primitivo et negroamaro, le premier doux, le second plus amer, se mélangent fort bien. Il fut un temps où les chaleureux vins des Pouilles venaient ensoleiller ceux du nord. Maintenant, les viticulteurs apuliens soignent des vins faisant preuve d’une forte identité locale, autant parmi les blancs que les rouges. Ces vins accompagneront fort bien votre plat d’orecchiette, ces pâtes en forme de petites oreilles qui ont le grand mérite de bien retenir la sauce en leur creux. Ici, les tomates goûtent le soleil, et c’est tout pareil pour les fruits. Profitez-en pour acheter dans les marchés cerises et abricots, qui arriveront dans votre gosier à maturité et sans avoir beaucoup voyagé. Et que dire des olives aromatisées au thym, au laurier, au fenouil ou au basilic, mais aussi aux piments ou au citron… elles se savourent avec délectation en guide d’apéritif.

Pour qui ?

La région se prête fort bien à un premier voyage à vélo. Le relief est plutôt modéré et les étapes ne sont pas longues. Idéal aussi pour un périple familial, la mer omniprésente multipliant les occasions de pauses rafraîchissantes.
Côté météo, pas d’inquiétude à avoir : le chaud et sec domine, le printemps et l’automne étant même préférables si on veut éviter à la fois les grosses chaleurs et la période estivale très fréquentée.
À lire avant de partir : Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé (prix Goncourt 2004), une histoire familiale courant sur plusieurs générations. Le genre de lecture qu’on ne lâche pas avant de tourner la dernière page en se disant chanceux de ne pas avoir une telle famille.
À lire pendant : le Lonely Planet des Pouilles, un guide très complet sur cette destination italienne peu connue.

Le journaliste a participé à un voyage offert par Vélo Québec Voyages.

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