Les membres du club vélo Randonneurs du Québec aiment les chiffres ronds et ne descendent jamais en dessous de 140 km pour leurs sorties.
Si vous apercevez devant vous sur la route les maillots bleus du club vélo Randonneurs du Québec (CVRQ), ne vous enorgueillissez pas de les dépasser : ils sont possiblement en selle depuis votre souper de la veille.
L’air est presque gelé à 7 h du matin lorsque notre groupe d’environ 25 donne ses premiers coups de pédale à partir du parc de la Voie-Maritime, à Saint-Lambert. Des vélos de tous matériaux – carbone, acier, aluminium et même titane – serviront à franchir la distance du jour, 200 km. Selon les règles des brevets randonneurs mondiaux, cette distance doit être parcourue en moins de 13 h 30. Ce temps maximal monte à 20 heures pour le brevet de 300 km, à 27 heures pour celui de 400 km et à 40 heures pour le 600 km. La moyenne à maintenir est donc établie à approximativement 15 km/h, incluant toutes les pauses et même le temps de sommeil. « Faire 600 km est plus facile que 400, me répètent pourtant Kathia, Marc ainsi que pratiquement tous mes expérimentés compagnons du jour. Pour le 400, il faut se lever très tôt et se coucher très tard, puisqu’on pédale une vingtaine d’heures. Dans le 600, on roule la nuit, ce qui autorise une heure de départ moins difficile et quelques heures pour dormir. »
Direction sud, nous filons à travers champs une fois passé Candiac. Christine doit avoir hâte que le soleil monte à l’horizon : sans manteau ni couvre-jambes, son duvet de mollet est dressé comme de la peau de poulet. « J’aime bien rouler la nuit, me confie Marc, avec qui je cause au même moment. C’est silencieux et très paisible. » Le membre du CA a participé à 16 des 19 sorties de la saison précédente. « J’éteins mon téléphone et je déconnecte complètement durant ces aventures. »
Son sentiment est partagé par Kathia, doctorante qui a effectué le Paris-Brest-Paris (PBP) en 2023 dès sa première saison chez les Randonneurs. « Je me laisse porter en suivant nos tracés GPS, dit-elle. Nos plus longues distances nous font traverser le Québec. Mon corps continue de produire des endorphines pendant quelques jours après la sortie. »
200 KM MONTÉRÉGIENS
Le trajet d’aujourd’hui nous rapproche de la frontière états-unienne. Au km 41, j’ai déjà mal aux jambes, et il m’en reste 166… « Nous sommes presque à mi-chemin de l’aller ! » me réconforte Kathia.
Les contrôles officiels – un sceau apposé dans un dépanneur – sont assurés tous les 50 km. Au premier contrôle, Simon enfile les Pop-Tarts, d’autres des sandwichs.
Plus loin, lorsque nous virons à droite sur le chemin de Covey Hill, le terrain ondulé provoque des ravages parmi les petits pelotons. Je file un temps avec Nicolas, qui vise un 300 km cet été. « Et un jour le PBP ! » espère-t-il.
Le deuxième cachet sera apposé à la brasserie Livingstone. La descente de la Covey est grisante. Les pneus collent à un doux asphalte et la circulation est pratiquement inexistante. Des cabanes à sucre se devinent des deux côtés du chemin, reconnaissables à la tubulure bleue qui quadrille la forêt dont les arbres sont encore effeuillés.
Je rattrape Catherine, une retraitée qui roule depuis 2010. « Je ne fais que des 200 », s’excuse-t-elle. Pascal, alias Capitaine Audax, m’avait fait une confession similaire : « Je vais faire les dix 200 de la saison, peut-être un 300. » Le sexagénaire, qui a obtenu son premier brevet officiel à 14 ans, préfère maintenant les plus courtes distances en raison d’un mal de dos.

Nicolas Truong envisage de faire un brevet de 300 km au cours de l’été.
VENT DE FACE
« Ces distances, c’est vraiment plus mental que physique », croit Kathia. Je ne sais pas, depuis qu’on a viré vers le nord en direction de notre point de départ, un vent contraire à 30 km/h a fait passablement augmenter le rythme auquel j’ingère mes oursons en gelée et mes chocolats. L’ami Benoit Simard (qui m’accompagne et avec qui j’anime le balado Encycliques) a beau jouer le rôle de mur devant moi, je sens une fatigue généralisée gagner mon corps. « L’humain possède des forces insoupçonnées », m’avait dit plus tôt Pascal, du haut de ses 100 brevets et 3 PBP.
Au troisième point de contrôle, un dépanneur dans un village quelque part, un participant taquine Marc, qui avait annoncé « un vent de côté » au départ de la journée. « Eh bien, c’est côté face : je n’avais pas spécifié de quel côté ! » se défend en riant le responsable du parcours.

Le chemin de Covey Hill bordé de jonquilles fait partie du parcours.
LA DURETÉ DU MENTAL
Il reste encore 50 km. Je mouline pour demeurer dans le peloton d’une dizaine de héros. Les cinquantenaires (et plus) me jasent sans forcer – même Yvon, qui est parti le matin même de Saint-Jean-sur-Richelieu, allongeant sa journée de 70 km… Kathia me rassure : « Une fois qu’on a roulé des 400, 600, 1200 même, un 200 km nous paraît comme une petite sortie. »
De retour en banlieue, sur la Rive-Sud, les pistes cyclables s’enchaînent jusqu’au dernier arrêt, un autre dépanneur où le temps officiel est noté pour être envoyé à l’organisme parisien qui les enregistrera. Avec les pauses, mon chrono indique 9 h 45. Quelques kilomètres plus loin, Benoit et moi retrouvons son camion. J’ai une moyenne de 24,5 km/h et 207 km au compteur – ma plus longue distance à vie. J’ai les jambes molles, mais le mental un peu plus dur… et étrangement, déjà une pointe d’envie de m’essayer la prochaine fois à une plus longue distance…
Le club vélo Randonneurs du Québec en bref
1992
Année de la fondation du club.
Le gros des troupes habite dans la région de Montréal ; un autre chapitre grandit à Québec.
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De 200 à 1 000 km
Le CVRQ est basé sur le concept des brevets randonneurs mondiaux, des distances homologuées par l’Audax Club parisien allant de 200 à 1 000 km (d’un coup !).
Les distances de 200, 300, 400 et 600 km sont qualificatives pour le Paris-Brest-Paris randonneur.
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140 km
Des distances plus courtes sont parfois proposées par le CVRQ durant la saison. Celle de 2024 est de 140 km, le 31 août.
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8 000
Le Paris-Brest-Paris randonneur est cette grand-messe des longues distances qui rassemble tous les quatre ans quelque 8000 cyclistes qui parcourent plus de 1200 km en un temps maximal de 90 heures. L’événement a lieu depuis 1891, soit huit ans avant le premier Tour de France !
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Écoutez le balado Encycliques (disponible sur toutes les plateformes) animé par Jonathan B.Roy et Benoit Simard. Ils vont raconter les péripéties de cette longue sortie et expliquer le concept des brevets.
