« Mille vingt vélos sous la terre », aurait pu titrer Jules Verne s’il avait séjourné à Tokyo à notre époque. Cinq stationnements de 204 vélos chacun sont dissimulés sous un trottoir de la capitale japonaise, procurant le gros avantage de ne prendre que très peu d’espace.
En déambulant dans la multicolore ville asiatique, il est facile de passer à côté de l’Eco Cycle sans le remarquer. Le stationnement pour vélos fabriqué par la nippone Giken n’en est pas moins une merveille d’ingénierie et d’urbanisme. Près de la gare de Shinagawa, l’installation que je visite compte cinq de ces stationnements cachant un total de 1020 bécanes sous le trottoir. Comme les sommets des icebergs, chacun de ces stationnements aux allures de silos souterrains n’émerge que de 5,55 m sur 1,60 m au-dessus du bitume, un espace 40 fois plus petit qu’un stationnement classique équivalent. Sous le sol, toutefois, les structures, d’un diamètre de 8 m, s’enfoncent à quelque 12 m de profondeur.
Au moins aussi fascinante que la discrète apparence du stationnement souterrain est sa facilité d’utilisation. La majorité des installations d’Eco Cycle fonctionnent avec des abonnements mensuels. Sur la fourche des bicyclettes est installée une balise d’identification électronique. Le vélo est glissé dans une rainure qui aligne la balise avec un lecteur. Sous la simple pression d’un bouton, les portes coulissent, des pinces hydrauliques saisissent la roue avant et attirent la monture vers un ascenseur rotatif situé au centre du stationnement souterrain. Le vélo est emporté et introduit en sens inverse dans une place de stationnement disponible. Pour récupérer son vélo, il suffit de présenter une carte à puce devant un autre lecteur, et le vélo est automatiquement remonté à la surface, en moyenne en moins de 13 secondes.
Ce système, dont la première version a été mise en service en 1998, fonctionne avec pratiquement tous les types de vélo. Les roues d’un diamètre de 18 à 28 po sont compatibles, ainsi que les pneus allant jusqu’à 55 mm (ou 2,2 po). Les vélos électriques sont acceptés jusqu’à un poids de 40 kg.
Ce stationnement souterrain n’est pas nécessairement une installation permanente. Son assemblage nécessite de deux à trois mois, selon le type de sol, mais la structure peut être enlevée ou déménagée. En plus du modèle souterrain, Giken vend un stationnement similaire, aménageable à la surface, qui peut être intégré aux bâtiments, parfois même avec un mur extérieur en verre qui transforme la structure en un élément architectural d’exception.
Bien que Giken considère d’autres marchés internationaux, ce n’est pour l’instant que dans une soixantaine de sites au Japon qu’on peut profiter d’un Eco Cycle. Enthousiaste, je demande à Chihiro Nakagoshi, porte-parole de Giken et mon guide du jour, si un tel concept pourrait être importé au Canada, où la neige complique l’équation. « Il faudrait apporter quelques modifications, me répond-il, plus confiant que je l’anticipais. Par exemple en plaçant des tapis chauffants sur la plateforme plutôt que du simple caoutchouc, afin de prévenir l’accumulation de neige à l’entrée. » Il ajoute que dissimuler les vélos sous la terre apporte, en plus de les prémunir contre le vol, l’avantage de les protéger contre tous les types de précipitations.
La perfection est reine au pays du Soleil levant. Les mets y sont des œuvres d’art, les trains y sont précis à la seconde près et ces stationnements de vélos sont, à mon avis, les plus beaux du monde. L’Eco Cycle est joli, facilite la vie et libère l’espace urbain pour d’autres activités. Finie la crainte de se faire voler son vélo ou de l’abîmer en le rangeant entre deux autres montures. Giken a pour mantra la culture à la surface, la fonctionnalité sous terre. Le pari est réussi.
Ce reportage a été rendu possible grâce au soutien financier et administratif du Tokyo Convention & Visitors Bureau (TCVB).
