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Le blogue de David Desjardins

Je suis une mouche

26-06-2019

Dans le trafic, je suis minuscule. Mais pas à ce point.

Après un printemps presque sans histoire, la saison des travaux routiers et des congés me ramène à mon habituel sentiment de vulnérabilité. Et à ma colère envers celles et ceux qui croient que, parce que nous roulons à vélo plutôt qu’en auto, nous ne méritons pas de le faire en sécurité.

« Je t’avais pas vu ».

Pas d’excuse, rien. Seulement cet aveu, qui n’en est pas tout à fait un.

Il ressemble parfois à quelque chose comme « j’avais mieux à faire de que de regarder où j’allais ». Et l’automobiliste qui vous assène ce constat le fait parfois avec ce mélange de désinvolture et d’hébétude, lorsque vous arrivez à sa hauteur pour vous plaindre de son étourderie, qu’il apparait évident que, à son avis, si vous vous aventurez sur la route autrement qu’en auto, vous le faites à vos risques et périls. Comme si vous grimpiez El Capitan en solo, sans corde. Rien de moins.

Bref, c’est vous et moi qui sommes assez crétin pour risquer notre peau sur la route.

J’en ai rejoint un mercredi midi. Après m’avoir dépassé à très haute vitesse, dans une zone de 50, en me frôlant, sur une route à deux voies qui lui aurait amplement permis de ralentir pour me dépasser de manière sécuritaire, il s’est arrêté au Subway où il remplissait de la paperasse au volant de son camion. Il venait de risquer ma vie pour « attraper la verte » et aller se ranger là. Je roulais bien rangé contre le trottoir, je portais un sac à dos vert fluo.

« Je t’ai pas vu. »

Je venais de le vouvoyer. Je tentais de garder mon calme en lui expliquant qu’il m’avait frôlé, que j’avais senti le miroir passer près de mon oreille. Il m’a dit ça et a refermé sa vitre. Me renvoyant en balayant mon image de la main. Comme si j’étais une mouche. Visiblement, dans son esprit, si ma sécurité importait si peu, c’est sans doute ainsi qu’il m’envisageait. Une nuisance. Du genre qu’on écrase.

C’est la saison des travaux, des bouchons. Vendredi, un monsieur d’un âge tout à fait vénérable m’a foncé dedans au volant de sa camionnette, si bien que j’ai du me tasser pour ne pas me faire blesser, voire tuer. J’avais pourtant attendu sagement l’indication du contrôleur routier, j’avançais de mon bon droit. Mais selon le conducteur, en tant que « crisse de bicycle », j’aurais dû lui céder le passage.

Il ne s’est jamais arrêté. Si je ne me tassais, il m’écrasait.

Je ne suis pas un humain. Même pas un cycliste. Je suis un crétin suicidaire parce que je roule autrement qu’en machine. Je suis une mouche. Je ne mérite pas d’exister.

Et après, ces gens se demandent pourquoi nous militons, pourquoi nous réclamons plus de voies cyclables séparées, pourquoi nous demandons le respect, obsédant sur quelques comportements déviants de cyclistes qui ne mettent que leur propre vie en jeu, alors que ce qui menace la nôtre, c’est un état d’esprit.

Le sentiment d’être le plus fort, d’être dans son bon droit, d’avoir mérité une place qu’on ne partagera surtout pas.

Le sentiment que l’on peut écraser quiconque nous empêche d’aller où bon nous semble comme cela nous plait. Surtout les mouches.

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