Je déteste le vent de face et, comme tout le monde, l’aime bien de dos. Reste qu’à choisir, je prends n’importe quand une journée sans un souffle.
Le froid? Bof, je m’habille. La pluie? Je peux vivre avec à moins d’un déluge. Le vent, lui, est un vampire qui me vide de mes forces et entame du même coup ma volonté et sape mon moral.
C’est un ennemi invisible. Une main posée sur mon front qui m’empêche d’avancer à une vitesse décente, malgré tous mes efforts.
Il se dompte en groupe, alors que le supplice qu’il inflige se partage à tour de rôle. La roue d’un ami, ou mieux encore celles d’un peloton, deviennent alors un refuge. L’endroit où l’on se refait une santé. Dans les jambes et dans l’esprit.
Parce que le vent nous joue dans la tête en nous faisant croire que nous sommes faibles. « Regarde, t’es même pas capable d’aller plus vite qu’un enfant ou un vieillard », souffle-t-il à mon oreille. Je parviens à ne pas l’entendre pendant un moment, puis la fatigue me fait baisser ma garde. Chaque fois que je le reçois de front, c’est un duel qu’il reprend avec ma volonté.
J’ai beau plier comme le roseau dans la tempête et me coucher sur ma monture, les mains enfoncées dans le ceintre, le dos plat comme si on allait y déposer une théière, il finit par m’agacer, ce souffle, puis me mettre en rogne.
Nous sommes fin avril. Il vente tout le temps. Et fort.
Je fantasme des matins d’été où il n’y a pas même une ride sur le fleuve. Le son voyage dans tous les sens. L’humidité matinale colle à la peau. Le vent est mort. Bien fait pour lui.
On me dira que l’avoir de dos devrait nous réconcilier. Il est alors presque aussi efficace qu’un bidon collant et me prête une vitesse dont je ne serais jamais capable seul. Mais je ne suis pas tout à fait convaincu que le bénéfice de cette propulsion compense l’affliction qui consiste à le prendre en pleine face à un autre moment de ma sortie.
Vaincre les moulins à vent
En même temps, j’aime le détester. J’adore l’avoir vaincu. Je pourrais le laisser gagner. Me consacrer à la montagne et me réfugier dans les bois. La forêt nous en préserve : le vent n’est plus alors que cette force qui fait chuinter les feuilles à la cime des arbres. Il fait craquer leurs troncs et onduler la canopée.
Mais j’aime la bagarre. Je cherche des ennemis. Je suis un mercenaire avec pour seul pécule le renforcement de l’ego que me procure ma victoire secrète sur les éléments, et plus encore sur moi-même. J’aurais pu abandonner. Mettre tout à gauche, rentrer sur un petit braquet, penaud. Mais non. J’ai tenu bon. J’ai pris des coups. Je me suis vidé pour conserver une vitesse décente. J’ai regardé les watts grimper jusqu’à atteindre des accès de mégalomanie. J’ai gagné.
Le vent, peut-être plus encore que la montagne, fait du cyclisme de route un sport de combat. Et je n’aime pas perdre. Encore moins abandonner.