La marque de l’équipe de Sylvan Adams est brisée. Maintenant, reste à savoir si son propriétaire privilégiera le cyclisme ou la politique.
Parlons marketing. Après tout, c’est mon principal boulot (si vous l’ignoriez, j’ai cofondé et dirige une boîte qui se spécialise en contenus et stratégies de marques).
Et le cyclisme pro, c’est essentiellement ça: du contenu (le sport et tout ce qui s’y rattache) auquel s’associent des entreprises, des états, ou les egos de milliardaires.
Le fonctionnement des commandites
Le principe des commandites dans le monde du cyclisme est donc d’associer un groupe de coureur à des entreprises, le plus souvent. Lidl-Trek promeut des épiceries et des vélos. Redbull Bora hansgrohe, des boissons énergisantes, des plaques de cuisson et des articles de plomberie de salle de bain. Ineos Grenadiers, du pétrole et des jeeps de luxe. Movistar, des cellulaires. Ainsi de suite.
Le plus souvent, il y a derrière ces équipes des milliardaires qui s’amusent en achetant des équipes et s’en servent comme d’une sorte de publicité ambulante pour leurs autres propriétés. C’est le cas d’Ineos, par exemple.
Vous avez aussi des états qui financent des équipes, à divers degrés. XDS Astana est soutenu par le Kazakhstan. UAE par les Émirats Arabes Unis. Baharain Victorious par le Bahrain.
Enfin, il y a Israel PremierTech, qui est principalement financé par le milliardaire québéco-israélien Sylvan Adams et la compagnie de Rivière-du-Loup, PremierTech. De l’aveu d’Adams, l’état hébreu finance peu ou pas l’équipe, dont il a fait, toujours selon ses propres paroles, un outil de soft power afin de promouvoir Israël.
Ça a le mérite d’être parfaitement clair. Son équipe est un véhicule marketing pour l’état en question, mais c’est Adams qui le finance. Par amour de la patrie. C’est son droit le plus strict.
Je ne vais d’ailleurs pas casser du sucre, ici, sur le dos des coureurs de l’équipe. Ils font leur boulot, respectent leur contrat, et après tout, plusieurs doivent leur prolifique carrière à cette organisation. Je n’aimerais pas être dans leur très inconfortables souliers.
Je ne vais pas non plus me lancer dans une tirade enflammée concernant Adams. Si lui fait de la politique en affichant clairement sa position en faveur de la stratégie militaire de Benjamin Netanyahu, c’est uniquement l’effet de cette posture qui m’intéresse ici.
L’image des marques tolère mal les scandales. Là, on parle d’un état en guerre qui commet des gestes que les Nations Unies considèrent comme un génocide.
Or, dans la relation symbiotique entre les équipes et les marques, il y a un moment où le commanditaire peut devenir toxique pour le commandité.
L’équipe est elle aussi une marque. Avec des valeurs, d’autres partenaires (le commanditaire de vélos Factor vient de menacer de quitter si IPT ne change pas son nom, d’ailleurs).
Sans l’ombre d’un doute, on a dépassé ce point de bascule depuis un bon moment.
La « marque Israël » est FUBAR
Je précise que je parle ici à titre d’expert, mais c’est un peu une blague. Pas besoin d’œuvrer dans le milieu pour comprendre que, peu importe depuis quel angle on regarde les choses, la marque d’Israël est cassée, irrémédiablement.
FUBAR, comme ils disent.
Que vous vous placiez d’un côté ou de l’autre de la question, que vous apportiez mille nuances n’y changera rien.
Nous voici à un point tournant dans l’histoire de cette équipe dont le commanditaire, ou du moins celui qui est affiché, est devenu radioactif.
Adams peut penser ce qu’il veut. Il peut défendre l’indéfendable si ça lui chante. Et il n’a pas tort lorsqu’il affirme que ce genre de mécontentement pourrait éventuellement affecter d’autres équipes financées par des états plus ou moins démocratiques, ou des compagnies pétrolières, ou des banques. Ce sont les dangers du sportwashing.
Mais là, maintenant, c’est la marque de son équipe qui est brisée.
Adams va donc devoir faire un choix entre la politique et le cyclisme. Entre la défense de ses opinons et la sécurité de ses coureurs. Entre la promotion d’un état désormais qualifié de « voyou » par de nombreux observateurs et l’avenir professionnel des coureurs qui roulent sous le pavillon de l’état hébreu.
Je répète : votre opinion sur le conflit n’a rien à voir là-dedans. La mienne non plus. Celle des coureurs non plus. Celle d’Adams non plus. À ce stade, sur le plan des affaires, de la publicité, du marketing, la « marque Israël » corrompt tout ce qu’elle touche.
Donc soit Adams refonde son équipe sur d’autres bases, en change le nom (pas seulement les maillots), et continue l’excellent travail qu’il a fait pour le cyclisme canadien et les coureurs de chez nous, soit il s’entête, met en péril l’avenir de son équipe que de futurs coureurs vont fuir, la sécurité de ses actuels porte-couleurs, de même que celle de tout le peloton qui doit subir les menaces et les manifs.
Pendant ce temps, au Rwanda…
En même temps… se déroulent en ce moment les Championnats du monde dans un pays, le Rwanda, dont le leader est accusé d’avoir manipulé le processus électoral, fomenté l’assassinat d’opposants à son régime et d’avoir financé les rebelles du pays voisin pour des questions d’appropriation de ressources minières. Un leader tout de même soutenu par de nombreux pays du G7, et d’ailleurs, pour sa position stratégique sur le plan économique et sécuritaire en Afrique.
Faque, je dis ça, je dis rien…