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Le blogue de David Desjardins

Offrez ces histoires de superhéros cyclistes

01-12-2021

Extrait de The Road Book

Les mots des cyclistes me donnent toujours envie de rouler. Ils me rassurent. Je ne suis pas seul. Mes errances sont parfois aussi les leurs.

Nous avons des existences totalement différentes: la vie d’un pro (un superhéros cycliste) et la mienne (cycliste lambda, sans super-pouvoir) n’ayant que très peu en commun. Certaines choses nous rapprochent pourtant dans leurs témoignages. Des détails, infimes. Ceux de l’humanité en mouvement. De l’intime qui renvoie à l’universel.

Une forteresse de solitude

Dans le récit qu’il fait de sa course victorieuse dans l’édition 2021 de The Road Book, Jasper Stuyven raconte que pendant une centaine de kilomètres sur Milan-Sanremo (rappelons que cette course printanière, très justement surnommée la Primavera, en compte presque 300), il a l’esprit qui papillonne. Ça ne va pas bien dans sa tête. Alors il parle avec les autres coureurs pour s’occuper. De courses passées, mais aussi d’émissions de télé, de sa blonde. J’ai moi aussi, souvent, besoin de ce papotage pour me sortir des pensées qui m’assaillent et me gênent. Même quand je roule. Parfois, l’effort et la distance paraissent infinis. Impossibles.

Si je suis seul, je mets des écouteurs (je sais, je ne devrais pas) et je démarre un balado. Des fois, je n’écoute même pas ce qu’on y dit. Ce n’est pas important. J’ai juste besoin qu’on me parle pour oublier le travail, les soucis. À bloc, je ne pense à rien. Les mots ne sont d’aucune utilité quand les jambes veulent exploser et que la pulsation cardiaque vous remonte jusque dans les dents. Mais je ne peux pas rouler à fond à tous les coups. Je me fais vieux.

Alors je pense. Cela me rassure de savoir que même celles et ceux qui gagnent leur vie sur le vélo y trimbalent une musette d’idées parasitaires. Je sais pas pourquoi. Ça le rend humain et les rapproche de mon expérience à moi.

Tous les hivers, je potasse The Road Book en quête d’histoires comme celle-là, ou simplement pour avoir accès aux versions de première main des plus grands exploits de l’année. Si vous aimez quelqu’un qui aime le vélo, offrez-lui cette merveille. C’est une encyclopédie cycliste, avec des données, des récits de courses en miniatures. Des photos. Mais aussi des témoignages de coureuses, de coureurs. Les meilleurs y sont. Van Aert. Pogacar. Long Borgini. Alaphilippe.

Je possède toute la collection depuis sa récente fondation. C’est beau, non?

Je m’assois, j’en lis quelques pages en entier, puis je fais défiler l’année, de manière chronologique. Qui a remporté Tirreno-Adriatico, déjà? Je vais voir. Des noms sont là, encore tous familiers pour la plupart. Dans quelques années, certains résonneront encore. D’autres auront sombré dans l’oubli.

The Road Book est un devoir de mémoire. C’est un objet neuf mais ancien, parce qu’il est un témoin physique du temps qui désormais se trame en ligne, dans nos existences numériques. L’abondance de donnée enterre nos mémoires encore vives. Le livre est lourd. Beau. Absolument inutile. Et c’est justement ce qui le rend précieux.

Nous étions jeunes et insouciants

J’ai fait toute une série de chroniques sur le vélo l’été dernier dans l’émission de mon ami André Robitaille.

Dans l’un des épisodes, je suggérais plusieurs livres. J’en propose deux, ici, qui nous emmènent aussi dans la tête des cyclistes. En français, ces deux-là. Écrits par des Français.

Le coureur et son ombre d’Olivier Haralambon est essentiel pour l’amateur de poésie cycliste. C’est un recueil de récits de courses depuis l’intérieur du crâne des coureurs. Mélange de fiction, d’autofiction et de récit. De tous les textes, mon préféré est Nocturne. Il raconte un de ces criteriums de fin de saison auxquels sont conviés les coureurs pros. Souvent en échange de bourses importantes. Mais pas toujours. J’adore le rythme du récit. Il épouse ce que je connais de ce genre de course et d’effort. Je connais la griserie de la vitesse, de l’échappée maudite, qui ne se rendra pas mais que l’on garde en vie artificiellement. Et ce visage qui a été le mien, tellement déformé par l’effort que c’en est beau, écrit l’ancien coureur, devenu l’un des meilleurs auteurs du cyclisme.

Enfin, je relis une fois par an Nous étions jeunes et insouciants, l’autobiographie de Laurent Fignon. Il y a plus de vérité sur le cyclisme dans ce petit bouquin que dans les piles d’articles écrits à l’époque et avant, du temps où l’on magnifiait tout dans le vélo, parce que le sport a justement été inventé pour fabriquer des mythologies entières. Épreuves sysiphiennes. Luttes titanesques. Traitrises troyennes. Traversées des enfers pour y récupérer son âme.

Le « professeur » portant la tunique du héros

Fignon raconte et on a le sentiment qu’on l’écoute plus qu’on lit. Son bouquin est un récit autour du feu de camp. Parfois un règlement de compte, ici et là. Un brin d’amertume qu’il crache dans les flammes. On sait qu’au moment d’écrire le nouvel avant-propos qui figure dans l’édition de poche, il se sait condamné. Mais en le lisant, on se rend vote compte qu’il a vécu presque trop de vies, même si le temps qui lui fut imparti sur cette terre s’avèrera bien court.

Je dis que Fignon raconte. C’est plutôt à Jean-Emmanuel Ducoin, véritable auteur de cette narration à la première personne, que l’on doit le style direct et efficace de ce récit d’une vie marquée par la gloire (2 Tours, en plus de tout le reste), les rivalités, les blessures, du corps et de l’ego, dans les deux cas, à force d’avoir trop poussé alors qu’il aurait fallu s’en garder sous la pédale.

C’est l’histoire du vélo d’un autre temps. Où l’on se cuitait parfois un soir, au beau milieu d’un grand tour, où la dope était affaire courante, sans que cela n’émeuve grand monde, où la vie des cyclistes professionnelles était parfois misérable, en totale rupture avec la légende que l’on racontait dans la presse.

À peine 300 pages qui passent comme ça, en un coup de vent, comme Fignon filant dans l’Alpe d’Huez (Tour 1984, étape 17) pour mieux passer Bernard Hinault, assez vite pour l’enrhumer, le Blaireau.

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