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Le blogue de David Desjardins

Pourquoi tant de records de vitesse?

30-04-2024

Les records de vitesse moyenne des grandes classiques et des monuments sont fracassés les uns après les autres. Année après année, depuis la pandémie. J’ai demandé à Guillaume Boivin, de l’équipe Israel-PremierTech ce qui explique cette situation.

Mais d’abord, faisons le tour des plus récents records :

  • Omloop Het Nieuwsblad : 44,7 km/h par Tratnik (contre 42,5 en 2021)
  • Kuurne-Brussel-Kuurne : 45, 1 km/h par Van Aert (contre 43 en 2022)
  • Milan-San Remo : 46,1 km/h par Philipsen (contre 45,7 en 2023)
  • Tour des Flandres : 44,8 km/h par Van der Poel (contre 44 en 2023)
  • Paris-Roubaix : 47,8 km/h par Van der Poel (contre 46,8 en 2023)
  • Amstel : 42,5 par Pidcock (contre 42,2 en 2022)

Deux remarques : les vitesses sont ahurissantes et, dans plusieurs cas, le résultat d’échappées solitaires. Aussi, vous remarquerez que les records précédents sont tous récents.

Oh, et puis l’UCI cherche des moteurs dans les vélos à toutes les courses, mais n’en a pas encore trouvé un seul. Lol.

Alors, qu’est-ce qui explique que les records s’accumulent depuis quelques années?

Selon Guillaume Boivin, on peut nommer deux facteurs importants.

L’accumulation des gains marginaux

« Il y a beaucoup de choses qui ont changé au cours des dernières années, note-t-il, à propos de l’équipement. Les vélos n’ont plus rien à voir avec les anciens -ils sont beaucoup aérodynamiques-, on porte des skinsuits, des casques plus aéro… »

Ce sont ce qu’on appelle depuis quelques années « les gains marginaux ». Ajoutez à cette liste le passage en soufflerie pour optimiser la position, les guidons plus étroits, les couvre-chaussures, les pneus plus larges (et plus mous, qui vont plus rapidement), les roues plus aéro, ainsi que l’ensemble des périphériques, l’usage de plus en plus courant de braquets de fou (il n’est plus rare de voir des plateaux de 58 dents, voire 62 (!!!) o sur des courses au profil plat comme Roubaix), les tissus aéro eux aussi…

Bref, vous accumulez les 5 watts épargnés ici, les 3 watts par là, et encore un autre 6 watts. Ça finit par faire des gains de moins en moins marginaux.

Mais c’est loin d’être la principale explication, selon le coureur québécois qui a été témoin des changements ces dernières années.

Moi j’mange (ben plus qu’avant)

« Ce qui a tout changé, c’est la nutrition, expose Guillaume Boivin. C’est surtout ça qui explique que la vitesse augmente : maintenant on peut rouler le gaz au fond, toute la journée. »

« On se rend compte qu’on ne mangeait pas pantoute avant dans les courses, constate-t-il. Avant, si tu prenais un gel par heure, c’était la norme, et on en prenait rarement au début de la course. Maintenant on prend l’équivalent de six gels par heure, pendant toute la course. »

En grammes de glucides, qu’est-ce que cela représente?

« Dans les grosses classiques, si t’es capable de prendre 140g par heure, tu y vas. » Parce qu’il y a aussi la capacité de l’organisme à ingérer autant de glucides, souvent consommés dans les bidons et gels. « Je ne mange presque plus rien de solide en course », confie Boivin. Quelques barres dans les très longues classiques et parfois dans les courses à étapes. Sans plus.

En comparaison : une cannette de Coke contient 35 grammes de glucides. Une barre Mars : 37. Un gel énergétique GU 22. Un gel Maurten 25. Ce sont les solutions solubles qui permettent un apport aussi important, dans les bidons. Ils contiennent jusqu’à 80 grammes de glucides par portion.

L’ère des petits gâteaux au riz semble être terminée. Mais plus encore celle des entraînements en mode « maigre ».

Non seulement faut-il entraîner le système digestif à ingérer ces quantités ahurissantes de glucides (et éviter le rejet, les crampes, la diarrhée), donc manger plus à l’entraînement, mais c’est toute la philosophie de nutrition qui a changé dans le vélo, à toutes les étapes.

« On mange beaucoup mieux en général et tout est calculé pour mieux performer dans les entraînements aussi. Tsé, les histoires de manger une pomme verte et partir avec un bidon d’eau pour faire six heures, c’est pas mal fini, ça.»

C’est une autre explication des hausses de vitesse moyenne dans les courses, selon lui: les entraînements sont faits avec un régime optimal de performance.

« Je me souviens, chez Liquigas-Cannondale, on mangeait des épinards et du poulet blanc pour souper et dans les rides on avait juste de l’eau. On faisait des sorties à 160 watts de moyenne au camp d’entraînement, ça n’avait juste pas de rapport, on n’était pas capable de pédaler parce qu’on ne mangeait pas. »

« Maintenant, on se rend compte qu’on perd plus de poids plus facilement à manger plus ». Plus de calories sont dépensées à l’entraînement, mais il y a aussi moins de compensation calorique aux repas, où tout est aussi optimisé. La récupération est aussi meilleure de cette manière.

Chaque équipe a donc désormais un, voire deux nutritionnistes à temps plein qui envoie à chaque coureur des plans de nutrition quotidiens, liés à leurs objectifs d’entraînement et de course. C’est inédit.

Les camps en altitude

Nous n’en n’avons pas discuté, mais autre donnée importante: il est désormais coutumier pour tous les membres des équipes de faire des séjours en altitude pour l’entraînement.

L’effet d’adaptation à la raréfaction de l’oxygène dans les hauteurs permet d’augmenter le taux d’hématocrite dans le sang, donc le nombre de globules rouges, responsables du transport de l’oxygène vers les muscles.

C’est un facteur qui n’est pas négligeable et qui entre désormais dans le calendrier annuel de courses de presque tous les coureurs, même ceux qui ne sont pas des grimpeurs et n’auront pas à performer à plus de 2000m.

Plus vite, plus de risques?

Parmi les accusés des nombreuses chutes qui sont venues noircir le récit de ce début de saison, on a justement pointé du doigt la rapidité des courses, le fait qu’elles se mènent à fond de train dès les premiers moments, alors qu’elles étaient autrefois « pacifiée » et menée de manière plus collégiale dans le premier tiers, voire la moitié du parcours.

« Ça change peut-être la dynamique, parce que tout le monde sait qu’ils peuvent aller à fond dès le départ. Et les champions (comme Pogačar) choisissent le moment le plus difficile de la course pour attaquer parce que leur équipe a souvent rendu la course plus dure depuis le début, ce qui, je pense, n’aurait pas été possible de faire avec les anciennes méthodes de nutrition. »

Pour les courses, oui, tout va plus vite tout le temps. Mais l’équipement est aussi en cause : « Les freins à disque, c’est vraiment génial, tu peux arrêter à la dernière minute, mais ça fait aussi qu’on va beaucoup plus vite dans les descentes ou avant les virages. Quand t’es en avant, t’as le temps de réagir s’il se passe quelques chose, grâce à tes freins, mais si t’es le 5ième en arrière, la surprise fait que tu n’as plus de temps pour réagir, parce que ça va trop vite. »

Bref, la marge de manœuvre pour se sortir d’un mauvais pas est considérablement réduite.

« Puis, le fait que les « moves » gagnants partent de plus en plus loin ajoutent de la nervosité dans le peloton. C’était souvent dans la dernière heure de course. Plus maintenant, donc tout le monde est à bloc tout le temps et tu ajoutes trois heures de nervosité de plus qu’avant par course».

Enfin, il y a des jeunes qui débarquent et prennent des risques inconsidérés. « C’est pas une affaire de respect, comme ce que disent les grands champions, c’est plus que des fois, tu te dis : pourquoi vous prenez des risques pour rien. Pour moi, l’expérience fait que j’évite des situations du genre et m’en sors en général assez bien. »

Calendrier de courses

Vous pourrez voir Boivin sur Tro Bro Leon ce weekend. Il sera ensuite sur le Circuit de Wallonie, les Quatre jours de Dunkerke (qui en sont en réalité 7), puis au tour de Suisse après un camp en altitude. C’est là que se décidera s’il aura sa place cette année au Tour de France.

 

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