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Le blogue de David Desjardins

Une vie en chasse patate

19-05-2015

Les biographies de cyclistes sont généralement ennuyeuses.

Hagiographies onctueuses qui virent à l’autocongratulation masturbatoire lorsqu’elles sont précédées du préfixe « auto » et rédigées par quelque mercenaire de la plume dont le nom n’apparaît nulle part, elles ne sont trop souvent qu’une pierre à ajouter au monument à la gloire du sportif. Un document unidimensionnel, sans relief, afin d’alimenter la légende.

Même Racing through the dark, que David Millar a écrit lui-même, et malgré son recul critique, avait quelque chose de l’entreprise d’autopromotion. Et de rédemption aussi (Millar a été suspendu pour dopage).

Sinon, il y a bien quelques grands auteurs, pour la plupart des Anglais. Il y a le très beau Anquetil tout seul de Paul Fournel. Et l’ancien coureur Michael Barry, dans le genre économe, possède un style éthéré qui n’est pas à dédaigner non plus.

Mais Phil Gaimon, c’est autre chose. C’est du bonbon.

Et son premier livre, l’œuvre d’un jeune américain qui se fiche des conventions, de la tradition et de la morgue qui affligent souvent son sport.

Il n’a jamais remporté de très grande course. Son palmarès domestique est respectable, et à l’étranger, il se résume à une victoire au Tour de San Luis, l’an dernier, tandis qu’il évoluait sur le WorldTour au sein de la Garmin (après la fusion avec Cannondale, il est revenu au circuit Continental nord-américain, et évolue chez Optum p/b Kelly Benefits).

Blogueur, puis chroniqueur magazine Velo, Gaimon s’est fait connaître autant dans les médias que pour ses résultats, distillant un humour pince-sans-rire, qui relève le versant parfaitement dérisoire de la pratique d’un sport au niveau professionnel. Surtout le cyclisme, que les traditions et les superstitions confinent par moments au ridicule.

On suit donc ce jeune homme grassouillet qui se découvre une passion pour le vélo, et en mange, puis concilie études et entraînement pour ensuite tout mettre de côté afin de faire sa place parmi les meilleurs au pays. Sans trop de misérabilisme, mais avec un réalisme qui dit bien le degré d’abnégation de plusieurs cyclistes qui n’ont de professionnel que le titre et l’éthique de travail, le portrait est juste.

Dormir dans son auto, chez des amis, des étrangers, vivre avec 12 000$ par an, revendre des pièces pour se nourrir et payer les comptes à la fin de la saison, traverser le pays pour courir après des victoires et grappiller les quelques points qui vous permettront d’obtenir un peu d’attention d’une équipe professionnelle. L’obtenir. Se faire royalement fourrer par ladite équipe…

Gaimon raconte le quotidien des nombreux pros qui sacrifient amours, carrières et une partie de leur jeunesse afin de pédaler pour rattraper un rêve parti en échappé depuis qu’ils sont des enfants. Une vie de chasse-patate.

Leçon de débrouillardise découpée en courts chapitres où l’on rigole à presque chaque page parce que l’auteur a le sens de l’ironie que de la construction du récit, dont il termine presque chaque segment par un punch ou une observation amusante, Pro cycling on 10$ a day est l’un des meilleurs livres sur le cyclisme que j’ai lu depuis longtemps.

Loin du lustre des légendes. Les deux pieds dans le réel. On patauge avec Gaimon dans ce mélange d’espérances, de joies intenses et de déceptions amères qui sont le lot des jeunes pros.

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