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Le blogue de David Desjardins

Cinémathèque cycliste: Coureur

07-02-2023

Il y a plusieurs excellents films sur les légendes du cyclisme. Mais il existe aussi quelques perles du cinéma où le vélo occupe une place de choix sans nécessairement en être le sujet central. Pour le mois de février, j’ai décidé de vous en proposer trois. Le premier : Coureur, un drame de 2018 réalisé par Kenneth Mercken.


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Félix est un jeune cycliste belge, promis à un brillant avenir. On fait sa connaissance au moment où il remporte le championnat amateur de son pays, autour de l’an 2000.

On saisit toutefois assez rapidement que l’environnement familial toxique dans lequel il évolue va le tirer par le bas, jusqu’au fond du trou.

Afin de s’affranchir d’un père violent, alcoolique, qui le pousse à se doper, Félix part courir pour une petite équipe italienne où, découvre-t-il sur place, l’ambiance est totalement pourrie et l’éthique facultative.

Une faillite morale

Tout au long de son parcours, les modèles que rencontre le jeune cycliste sont tous plus immondes les uns que les autres. Son directeur sportif italien est violent, manipulateur. Les coureurs vivent dans une promiscuité dégradante. Les rivalités éclatent et des alliances se forment au sein de l’équipe, au détriment d’à peu près tout le monde.

Coureur est un film sur la faillite morale de personnes en autorité dans le sport. Des parents, des coaches. Il pourrait se dérouler dans le monde des arts. J’ai souvent songé au génial Whiplash, qui porte sur un prof de musique abusif.

Le silence opère dans ce film avec une redoutable efficacité. Dans le décor sublime du nord de l’Italie, l’absence de dialogue nous permet presque d’entendre Félix penser tandis qu’il bouffe les kilomètres ou contemple le vide entre ses entraînements, terrassé par la fatigue et la faim (s’il ne perd pas ses kilos « en trop », on lui coupe son salaire).

L’ambition se mêle à la détresse. Le travail acharné vire à l’obsession. Et l’ensemble de l’objet cinématographique s’avère d’une terrible beauté, alignant de superbes plans de caméra, des portraits révélateurs et des scènes de transition qui nous permettent de bien saisir les ambiances, toutes plus pourries les unes que les autres, dans lesquelles doit patauger un jeune homme dont les repères sont anéantis les uns après les autres.

Les trophées d’un père qui a tout perdu dans une maison d’ouvrier de la Belgique industrielle. Des dortoirs pourris. Un cimetière dans l’ombre des cheminées d’usines. Des haltes routières où Félix se shoote à l’EPO.

Les décors parlent autant que les silences.

Un cauchemar

Ce n’est pas un film sur le dopage autant qu’une fable morale sur les conditions de vie de toute une frange de la population pour laquelle le sport est un moyen de s’affranchir de sa condition. C’est un film sur les tares qui se passent d’une génération à l’autre, pères et fils se transmettant le désespoir d’un avenir bouché, doublé d’un héritage de violence que les femmes observent en silence, sans savoir comment intervenir.

C’est aussi un film sur les comportements liés aux dépendances et qui m’a souvent fait penser à l’excellent livre The Art of Cycling, de James Hibbard. L’auteur américain y expose brillamment comment les comportements obsessifs liés à la performance sportive ont plus à voir avec la toxicomanie qu’avec la simple discipline. Les enjeux de santé mentale qui dont désormais partie du discours dans tous les milieux sont ici tristement illustrés.

Tout ceci se mélange avec intelligence et sensibilité dans Coureur. La finale est un coup de poing au cœur, un avertissement : un rêve, ça peut aussi être un cauchemar.

Le film Coureur est disponible sur les plateformes de location d’Amazon et Apple (sous le titre anglais The Racer).

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