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Le blogue de David Desjardins

Rouler n’est pas un jeu

30-07-2019

Photo : Victor Xok on Unsplash

Je n’ai jamais vraiment aimé jouer.

Enfant, j’aimais construire, mettre en scène. Je planifiais des attaques contre l’ennemi (des voisins que je n’aimais pas trop), j’apprenais la survie en forêt, à me fabriquer un abri ou à filtrer l’eau. Sans doute le produit d’une enfance biberonnée aux drames nucléaires, aux Rambo et autres fictions dans l’Amérique post-Vietnam.

Je fabriquais des bases et des vaisseaux en Lego. J’avais des Transformers. Des Gi Joes. Je les disposais comme pour les prendre en photo, dans une posture d’action figée, définitive, qui serait la leur pour les semaines à venir sur le bureau de ma chambre. Et des livres de Donjons & Dragons, je tirais plus de plaisir à apprendre les noms des armes, des monstres ou des sorts que d’entreprendre une quête.

Aussi, lorsque j’entends parler des gens qui « jouent au vélo », j’ignore de quoi ils parlent. Parce qu’ici encore, je suis dans la performance. Je cherche à être meilleur. Pas seulement à gagner, remarquez. Je veux seulement parfaire mes compétences, reprendre le même virage en vélo de montagne jusqu’à le maîtriser. Affûter mon corps pour le rendre plus efficace. Je suis devenu mon propre couteau de Rambo.

Je roule zen

Si je m’amuse? Comme un fou!

C’est souvent difficile à comprendre pour celles et ceux qui trouvent leur plaisir dans le ludique. Je trouve surtout le mien dans la répétition qui mène à la perfection. Ou à tout le moins, la tentative d’y parvenir. Je roule le plus souvent seul et cela ne m’ennuie pas le moins du monde. Dans cet universe d’incessant babillage, le son de mes pneus sur l’asphalte, amplifié par le roulement des roues de carbone : voilà qui porte au recueillement, à la réflexion. Rouler est un geste zen, méditatif. Je suis dans l’instant présent. Plus encore sur le gravier ou en montagne, où toute mon attention va à ce qui s’amène sous mes roues.

Ce n’est pas un jeu. C’est un moment de vie pure, inaltéré par la plupart des irritants du quotidien. Je ne sais pas si j’y suis libre, mais plus que dans le jeu, où il y a toujours des règlements, un objectif qui ne m’appartient pas puisqu’il m’est imposé.

Rouler n’est pas un retour à l’enfance, pour moi. Je ne comprends jamais vraiment de quoi on parle lorsqu’il est question de ça : de rouler comme le premier geste de liberté, lorsqu’on est enfant.

Pour moi, c’était un moyen. Aller voir mes amis. Me rendre au dépanneur. À la piscine. À un party. À notre campement dans le bois. J’y allais plus vite qu’à pied, c’est tout.

Ça ne veut pas dire que je rechigne devant une sortie entre amis, ou en couple. Bien au contraire. Ce sont des occasions de partager du bon temps avec des gens que j’aime. Mais 90% de ma pratique cycliste est solitaire. Mon esprit tourné vers l’intérieur. Dans mes pensées. Et j’ai souvent le sentiment qu’il s’agit d’un geste de grand nettoyage, d’hygiène psychologique. Que mon corps et mon esprit entièrement absorbés dans le geste sont forcés de consigner les pensées négatives et le stress du quotidien autrepart, laissant mon esprit dériver pour un moment tandis que je m’occupe à souffrir, à m’améliorer, à jouer à l’athlète.

Ah ha! Jouer à l’athlète… Me serais-je pris à mon propre jeu, finalement? Serait-ce que j’ai toujours aimé faire semblant? Aimerais-je jouer s’il s’agit de faire la comédie?

Peut-être que c’est ça, au fond. Je joue, mais autrement. J’aime le vélo parce qu’il me permet d’être quelqu’un d’autre.

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