Les fous de la pédale du monde entier fréquentent peu les parties les plus septentrionales de la Catalogne. Ils ont tort, c’est un véritable paradis cycliste.
Le nord de la Catalogne est bien tel qu’on le soupçonne, tout en massifs granitiques dominant des vallées encaissées qui fleurent bon la garrigue. Tout en petits villages en vieilles pierres où flotte haut et fier l’estelada, le drapeau catalan frappé d’une étoile, symbole des velléités indépendantistes du pays. Berga, la capitale de la région de Berguedà, est un bourg antique qui se situe à la confluence des Pyrénées et de la plaine. Sur la Plaça de Sant Pere, son cœur vibrant, se tient chaque année la Patum, une fête populaire traditionnelle haute en couleur inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. Croyez-moi, vous voulez voir ça.

La Patum de Berga
Les géants de la Patum
Vers la fin mai, début juin, la Patum anime les rues de Berga. Pendant une semaine, les festivités aux racines à la fois profanes et religieuses et dont les origines remontent au XVe siècle se succèdent à un rythme réglé comme du papier à musique. En vedette : des géants rappelant la conquête de la région par les chevaliers chrétiens, des diables de feu qui sautent au rythme de la musique, des nains à grosse tête qui jouent des castagnettes, le tout au son du tabal, un tambour dont le roulement a donné son nom à cette fête (« PA-TUM ! PA-TUM ! »). On dirait la Mi-Carême, cette fête carnavalesque encore célébrée dans certaines régions du Québec.
Mais alors, pourquoi n’y ai-je pas croisé un seul autre représentant de mon espèce : un touriste à vélo ? Et qu’est-ce qui explique que je sois parmi les seuls non ibériques à grimper les cols de montagne qui irriguent l’arrière-pays ? Ricard, un local de l’étape, a sa petite idée là-dessus. « Les gens préfèrent suivre la masse et converger vers les mêmes lieux plutôt que de s’écarter des sentiers battus », m’expose-t-il sur les pentes de la collada de Sant Isidre (1105 m), une ascension teigneuse qu’a d’ailleurs gravie le Tour de Catalogne en 2024. Cet attrait du connu génère des situations déplorables comme à Gérone, pourtant toute proche, où la prolifération des cyclistes exaspère la population.
Avec son amoureuse, Alba, Ricard a décidé de revenir s’installer dans la région qui l’a vu grandir. Un choix motivé en grande partie par la recherche d’une meilleure qualité de vie. « Le Berguedà, c’est calme ! Peut-être même trop ; je pense que plusieurs souhaiteraient profiter d’une manne touristique… », glisse-t-il avant d’enchaîner avec un autre sujet : le gravel bike, qui est apparemment sublime dans le secteur. Nous croisons sur les entrefaites le réservoir de La Baells, qui capte le fleuve Llobregat, responsable de l’approvisionnement de 40 % de l’eau potable de Barcelone. Son niveau est faible ; la sécheresse qui frappe la Catalogne depuis cinq ans est tangible.
Cette pénurie d’eau historique explique pourquoi les fontaines de places de villages du très rural Bas Berguedà sont pour la plupart à sec. Leur alimentation est coupée pour préserver la ressource, m’apprend, dans un excellent français, un ancien à la peau tavelée par le soleil. Car, sachez-le, les Catalans, surtout les plus âgés, ont une maîtrise avancée de la langue de Molière. « Le français fut pendant longtemps la deuxième langue enseignée sur les bancs d’école », m’explique Ignasi, le propriétaire d’un camping de montagne qui me sert de guide. Dites-leur en plus d’où vous venez, et ils vous tomberont dans les bras. « Catalogne, Québec, même combat ! »
AMPLITUDE, HAUTEUR ET LUMINOSITÉ
Guardiola de Berguedà est le lieu de naissance de Joan Casals qui, jusqu’à son décès en février 2024, incarnait la mascotte du FC Barcelone. Avec son emblématique barbe blanche et son maillot bleu et grenat, Casals ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’Avi del Barça, un personnage de fiction créé pour représenter le célèbre club de foot. Des photos de cet oncle Sam catalan tapissent d’ailleurs les murs de la salle à manger de l’auberge Casa Duaner, où petit-déjeunent une légion d’adultes en cuissards. C’est le branle-bas : dans quelques minutes à peine s’élance l’Orbea Cadí Challenge, une spectaculaire épreuve cyclosportive en haute montagne.
Au menu : deux journées de vélo autour du parc naturel de Cadí-Moixeró, pour un total de 240 km et de plus de 5000 m de dénivelé positif. Cet événement non compétitif met en vedette les Pyrénées catalanes comme aucun autre. Les itinéraires balisés et parsemés de ravitaillements empruntent plusieurs des plus beaux cols du coin, comme celui de la Creueta (1925 m), qui concurrence ses populaires voisins français avec ses 21 km à 5,4 % de pente moyenne depuis le village de Pobla de Lillet. Au sommet, nous basculons dans l’une des plus larges vallées d’Europe : celle de la Cerdanya. Pensez à prendre une petite laine ; la météo peut être glaciale en descente, même en juin.
Son orientation est-ouest et son haut taux d’ensoleillement font notamment de cette dépression allongée un paradis pour la viticulture – leur jus de la treille cultivé, puis fermenté à plus de 1200 m d’altitude vous montera à la tête. Grâce aux camins rurals, des routes étroites, asphaltées ou non, à usage agricole, découvrir ce terroir sur deux roues est un véritable charme. On comprend mieux pourquoi les coureurs professionnels ayant élu domicile à Andorre, à quelques kilomètres de là, s’entraînent souvent dans le coin. Parmi eux, il y a le vainqueur de l’édition 2023 de la Vuelta, l’Américain Sepp Kuss. La principauté lui rappelle, il paraît, son État natal du Colorado. Eh bien.
Lors de mon passage, force est toutefois de constater que les hameaux comme Bellver, Prullans et Martinet sont anormalement calmes. Les volets fermés de plusieurs maisonnettes trahissent l’absence de leurs propriétaires : des urbains qui fréquentent leur résidence secondaire une poignée de semaines par année. « Dix mois durant, 18 000 personnes habitent la vallée. Puis, lorsqu’arrivent les vacances estivales, la population se multiplie par dix », m’indique Martí, guide de montagne, copropriétaire de l’entreprise de tourisme d’aventure Penyes Altes Outdoor Service et fier Cerdan. « Bonne chance pour aller au supermarché ! »
Il vaut mieux donc privilégier l’avant-saison et l’arrière-saison touristiques pour bien éprouver cette sensation d’amplitude, de hauteur, de luminosité que procurent les paysages de la Cerdanya. À ce chapitre, Martí est d’une aide précieuse ; il connaît le territoire comme le fond de sa poche. Rouler en sa compagnie les vals de Pi et de l’Ingla à vélo de montagne constitue une expérience qui vaut à elle seule le voyage. Hormis les vaches et autres chevaux qui pâturent ici et là, zone pastorale oblige, il n’y a personne. Un ruisseau qui prend sa source dans les chaînes surplombantes de Cadí et de Moixeró humecte le silence après notre passage.
- Cerdanya EcoResort
- Berga Resort
- Le Berga Resort est un complexe touristique stratégiquement situé à l’entrée des Pyrénées. On peut y louer à bon prix des bungalows, soit de petits chalets tout équipés. L’établissement possède en outre un centre de bien-être ainsi que des piscines extérieures où refaire ses forces après une rude journée de grimpe. À 2 km à peine du centre-ville animé de Berga.
- Niché en plein centre du coquet village de Prullans, le Cerdanya EcoResort représente la définition même de l’hôtel de montagne de luxe. Il s’agit d’un camp de base idéal pour les cyclistes, qui y trouvent justement une foule de services : espace pour le rangement des vélos, locations sur demande, carnet de route… On aime l’écho diffus des sonnailles suspendues au cou des vaches au loin, une bande-son on ne peut plus authentique.
