En quelques années à peine, «zwifter» est devenu un mode d’entraînement qui captive les cyclistes d’ici et d’ailleurs.
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Zwift n’a plus aucun secret pour Alain Cadorette. Ce coureur cycliste dans la catégorie des maîtres avale environ 4000 km par hiver depuis quatre ans sur la désormais célèbre plateforme d’entraînement virtuel avec des paysages et des pentes réalistes, soit l’équivalent de 8 à 12heures par semaine. Six jours par semaine, il retrouve des milliers de ses semblables, des cyclistes débutants comme des professionnels. Il y rencontre notamment ses coéquipiers de l’équipe Cannondale Échelon p/b 4iiii, pour filer sur les routes virtuelles de Watopia, un des dix mondes proposés par Zwift. Amenez-en des séances de trois heures en endurance fondamentale durant les week-ends ; il ne voit plus le temps passer, de toute façon.
«Zwift remplace avantageusement ces interminables séances de home trainer que je m’infligeais jadis. Pédaler à l’intérieur n’est plus une corvée ; j’en tire même un réel plaisir», confie-t-il en entrevue à Vélo Mag. Il n’est d’ailleurs pas rare de l’y retrouver en pleine saison estivale alors que sévit une étouffante vague de chaleur, par exemple. «Une course d’une heure sur Zwift est plus difficile qu’un des Mardis cyclistes de Lachine. C’est aussi plus payant pour la forme physique», affirme celui qui, dorénavant, ne se donne même plus la peine de résilier son abonnement une fois les bancs de neige fondus.
UN SUCCÈS QUI NE SE DÉMENT PAS
«Zwifter» est plus qu’un phénomène ; c’est un véritable raz-de-marée. On estime que, dans le monde, plus d’un million de cyclistes, mais aussi de coureurs à pied, sont inscrits sur la plateforme. Et encore, ces chiffres datent de 2019. Depuis, la pandémie de la COVID-19 et le Grand Confinement qui en a découlé ont fort probablement gonflé les rangs de ses adeptes – Zwift inc., une société privée fondée en 2014, se fait discrète sur ce point. De fait, plusieurs analystes estiment que Zwift a atteint une telle masse critique qu’elle ne peut plus être détrônée par la concurrence, comme Rouvy ou The Sufferfest.
Au cœur du succès de Zwift? Des mécanismes de jeu qui empruntent tantôt à l’univers cycliste, tantôt à celui vidéoludique. Ainsi, tout comme dans un peloton, un joueur bénéficie d’un effet d’aspiration s’il s’abrite dans la roue d’un concurrent. Il peut aussi personnaliser son avatar au fur et à mesure qu’il gagne des points d’expérience et provoquer des chutes sur commande, une fonction réservée aux membres «premium». Bien sûr, l’aspect social joue pour beaucoup ; il est possible d’y comparer ses performances à celles de la communauté et de partager ses exploits sur les médias sociaux.
Même les pros s’y mettent. À la faveur de la crise de la COVID-19, plusieurs ont fait leurs premières armes sur Zwift, si ce n’était déjà fait. Des Canadiens comme Michael Woods (gagnant de la 5e étape du Tour de France virtuel), James Piccoli (gagnant de la 3e étape du Tour for All) et Pier-André Côté (2e à la 1re étape du Tour de France virtuel) s’y sont tout particulièrement démarqués. Alain Cadorette s’amuse d’ailleurs à établir un lien entre leurs performances et leur «hivernalité». «Devenir cycliste professionnel, sous nos latitudes nordiques, implique nécessairement d’accumuler des heures de selle entre quatre murs. C’est une hypothèse qui me semble crédible, bien qu’elle soit difficile à prouver», admet-il.
5 CONSEILS d’un «zwifter» notoire
COMMENCER AU TAQUET
Une course sur Zwift ressemble à s’y méprendre à un cyclocross : ça démarre à fond, pour ensuite demeurer assez intense pendant toute la durée de l’épreuve, qui est généralement de 60 à 90 minutes. «Les 10 à 20 premières minutes sont très exigeantes. Ça part à 100 % afin de ne pas se faire prendre dans une cassure», raconte Alain Cadorette. Pour survivre à ce calvaire lactique, pendant lequel il arrive d’ailleurs souvent de réaliser ses meilleures pointes d’effort du jour, prenez le départ bien échauffé. Et ayez le couteau entre les dents.
MODÉRER SES ARDEURS
L’offre d’événements sur Zwift est impressionnante ; on peut même participer à des gran fondo. Si le cœur vous en dit, vous pouvez sans peine vous aligner sur une ligne de départ virtuelle tous les jours. Ce qui ne signifie pas que vous le devriez. «Derrière les avatars adverses, il y a de vrais concurrents qui donnent tout. Comme participant, cela incite forcément à dépasser ses limites, ce qui draine de l’énergie mentale », met en garde notre expert. Un conseil, donc: ne dépassez pas deux ou trois courses Zwift par semaine, qui feront office de séances d’entraînement par intervalles (EPI).
ENTRETENIR SES SENSATIONS
Une base d’entraînement, aussi intelligente soit-elle, ne permettra jamais de simuler à la perfection le bitume. Des détails d’apparence anodine, comme la souplesse et l’efficacité de votre coup de pédale, de même que le maniement de votre bolide, peuvent en souffrir. C’est pourquoi Alain Cadorette s’assure d’étrenner ses rouleaux intelligents, «à raison d’une ou deux fois par semaine». Aussi, n’hésitez pas à intégrer du fatbike et des exercices de renforcement musculaire à votre programme. Cela atténuera entre autres les douleurs lombaires qui se développent parfois pendant de longs efforts… sur la route.
NE PAS SE PRENDRE TROP AU SÉRIEUX
Zwift est configuré de manière à ce que la physionomie des cyclistes s’y «traduise» – le poids plume excelle dans les côtes, le rouleur se démarque sur le plat, et ainsi de suite. Il arrive toutefois que certains utilisateurs tirent sur l’élastique de la vérité, s’enlevant quelques kilogrammes indésirables au passage. Certains pros ayant mordu la poussière face à des amateurs déplorent d’ailleurs d’avoir fait les frais de tels cas de tricherie. «Je connais des athlètes qui fonctionnent comme des avions à réaction sur Zwift, mais qui font bien pâle figure dans la vraie vie. Il faut relativiser les performances exceptionnelles, les prendre avec un grain de sel», pense le coureur cycliste.
OSER ESSAYER
Entendez-vous ces puristes qui, du haut de leur vision figée du cyclisme, dénigrent Zwift? Ce sont généralement les mêmes qui lèvent les yeux sur les vélos à assistance électrique et perçoivent le vélo de garnotte comme une mode passagère… Plus sérieusement, rappelez-leur qu’avant même d’être une discipline en soi, Zwift est un jeu, avec ses codes, sa culture et, disons-le, son potentiel franchement addictif. «À l’approche de certaines courbes dans le jeu, je me surprends à pencher mon vélo dans mon salon, comme si j’étais sur la route. Ça en dit long sur le degré d’immersion rendu possible par cette technologie», conclut Alain Cadorette.