Plusieurs défis cyclistes d’envergure exigent de rouler des heures durant, et parfois de recommencer le lendemain. Témoignages, trucs et conseils pour s’y préparer.
Simon Lambert-Lemay se souviendra longtemps de sa participation à l’édition 2011 du Tour de Turquie, une course à étapes faisant partie du calendrier de l’UCI. « Certains matins, je me levais en me demandant : “Comment vais-je faire pour monter sur un vélo aujourd’hui ?” J’avais les jambes lourdes des efforts réalisés durant les jours précédents », se rappelle celui qui courait alors au sein de la défunte équipe canadienne SpiderTech. Il faut dire que l’état de la chaussée de la République n’aidait en rien sa cause. « La Turquie, c’est magnifique, mais pas pour faire du vélo… Les routes sont affreuses. Après six étapes, j’ai le cul en steak haché », déclarait-il sur Facebook.
Malgré la fatigue, l’ancien coureur cycliste a trouvé le moyen de rallier la ligne d’arrivée du Tour dans les délais impartis (158e sur 163, après huit étapes). Rien de plus normal pour un professionnel, dont le boulot consiste après tout à avaler les kilomètres sans broncher. « Une bonne partie de ma préparation était consacrée à développer cette capacité. Lors des camps d’entraînement printaniers, j’enchaînais les semaines de 30 à 32 heures de selle dans ce seul objectif », illustre l’ostéopathe. C’est sur cette base foncière qu’il érigeait ensuite l’édifice de sa forme physique, à grand renfort d’efforts spécifiques. QUID DE L’AMATEUR ? Cette stratégie, éprouvée, n’est toutefois pas adaptée à la réalité de l’humble amateur. Coincé entre ses obligations personnelles, familiales et professionnelles, celui- ci ne peut s’offrir le luxe de pédaler à temps plein. De fait, consacrer ne serait-ce que dix heures par semaine à l’entraînement fait déjà office de sacrifice chez la plupart des cyclistes. Comment « survivre » alors à une traversée des Alpes sur deux roues, à la relevée cyclosportive La Marmotte ou à une Haute Route ? Réponse : en misant sur la haute intensité. « Améliorer sa puissance pendant 5, 20 ou 60 minutes a pour effet d’augmenter celle maintenue pendant plusieurs heures. On stimule entre autres des qualités aérobies, qui sont déterminantes lorsqu’on doit fournir des efforts sur une longue période », explique Simon Lambert-Lemay. Cela signifie donc de parsemer son entraînement d’exercices par intervalles, aux schémas variés, soit des courts, des longs et des over-under (avec un repos plus actif entre les séries). À raison de deux ou trois fois par semaine, réalisez des pointes d’effort à des intensités situées au-delà de votre puissance critique, qu’on appelle aussi parfois seuil fonctionnel de puissance (functional threshold power, ou FTP), voire au-dessus de votre puissance maximale aérobie (PMA). Puis profitez des fins de semaine et des vacances pour réaliser de longues sorties représentatives de l’épreuve à laquelle vous vous préparez. « On apprend alors à se gérer, révèle-t-il. C’est aussi au cours de ces séances clés qu’on valide son choix de matériel. » Y compris son cuissard, afin de ne pas avoir les fesses en lambeaux.
3 clés pour réussir à rouler longtemps :
➊ Penser spécificité
« L’adaptation à l’entraînement est directement liée à la nature des processus sollicités au cours de l’entraînement », peut-on lire dans le livre Entraînement cardio : sports d’endurance et performance (Vélo Québec Éditions), écrit par le réputé docteur en physiologie de l’exercice Guy Thibault. Ce principe de spécificité est fondamental. Il explique pourquoi il faut tôt ou tard réaliser de longues chevauchées de plusieurs heures pour se préparer à des défis cyclistes d’envergure ; cela améliore bien plus l’aptitude à rouler longtemps que le fait d’effectuer une sortie d’une ou deux heures. Il s’applique en outre à toutes les autres caractéristiques de l’entraînement propres à ce sport, comme le dénivelé, la cadence de pédalage, la température extérieure, et ainsi de suite. « Afin de se préparer à un défi de plusieurs jours, on gagne ainsi à enchaîner de longues sorties sans intercaler de périodes de récupération. Et si le parcours du défi s’annonce accidenté, on intègre des bosses, voire des cols, dans sa préparation », illustre Simon Lambert-Lemay.
➋ Découvrir sa formule
Les formules toutes faites tirées des manuels constituent de bons points de départ dans une préparation à la longue distance. Malgré tout, elles nécessitent d’être adaptées à votre réalité propre, qui n’est pas nécessairement celle des larges cohortes d’athlètes (souvent élites) sur lesquelles elles se basent. Cela est particulièrement vrai sur le plan de la nutrition et de l’hydratation, des questions aussi incontournables que déterminantes lorsqu’on enfile les heures en selle. Par exemple, la consommation de glucides d’un sportif, estimée à 1 g par kilo de poids corporel par heure d’effort, peut être légèrement plus faible ou plus élevée selon la capacité du système digestif à les absorber. La tolérance de l’estomac aux glucides peut par ailleurs être améliorée en choisissant des produits dont l’« enveloppe » favorise l’absorption par l’organisme, comme le prétend la compagnie suédoise Maurten avec son hydrogel. « C’est à l’entraînement qu’il faut trouver ce qui marche pour soi, pas le jour de l’événement », soulignent les experts de Maurten.
➌ Maîtriser son discours intérieur
Les ultracyclistes et autres adeptes de courses d’endurance démesurées vous le diront : il est tout à fait normal de connaître des hauts et des bas, parfois même plusieurs. Cela vaut aussi lors d’épreuves d’une seule journée. La motivation est une ressource limitée qui est mise à rude épreuve à mesure que les heures avancent et que l’euphorie de la ligne de départ fait place à la fatigue. La question n’est donc pas de savoir si vous frapperez le fond du baril, mais plutôt quand. Et comment réagir, ce qui se pratique à l’entraînement. Devant l’adversité, il peut être stratégique de porter son attention sur le processus, comme son coup de pédale, son alimentation ou sa puissance. On peut aussi opter pour l’approche contraire et focaliser sur des éléments extérieurs à soi, comme les paysages ou les autres participants. Dans tous les cas, il faut autant que possible garder le contrôle de sa petite voix intérieure, dont les propos peuvent rapidement devenir toxiques. Le mantra que Simon Lambert-Lemay n’a cessé de se répéter tout au long de sa carrière ? « Ferme ta yeule, pis pédale ! »