
Si on se fie aux éminences grises du sport, l’entraînement cycliste continuera de se sophistiquer dans les prochaines années.
La proposition est peu commune, d’où sa pertinence. Un groupe composé de 25 scientifiques du sport s’est récemment prononcé sur les tendances actuelles et futures en matière d’entraînement et de performance en endurance. Ces 20 hommes et 5 femmes anonymes détiennent une vaste expérience de travail auprès d’athlètes de 15 pays et d’entraîneurs de renommée mondiale. On parle donc de « points de vue d’experts », résume sobrement l’étude publiée en 2023 dans The International Journal of Sports Physiology and Performance, sur un monde en constante mutation.
Fait notable : les signataires de l’article sont eux-mêmes des scientifiques du sport chevronnés. « Ce sont tous de très gros noms, des sommités à cheval entre le laboratoire et le terrain. Leur démarche est donc rigoureuse ; on peut avoir confiance qu’ils ont réuni la crème de la crème pour rédiger un tel rapport », analyse Myriam Paquette, physiologiste de l’exercice à l’Institut national du sport du Québec (INS Québec). Bien que le groupe de recherche soit hétéroclite, les consensus dégagés à la faveur de cet exercice consultatif concernent tous les cyclistes, et ce, peu importe leur pratique.
Mieux comprendre la cycliste
Les athlètes féminines ont longtemps suivi des planifications d’entraînement, des directives au sujet des blessures ainsi que des recommandations nutritionnelles fondées sur des recherches menées auprès de représentants du sexe masculin. Avec le résultat qu’on connaît : l’influence du cycle menstruel, de la contraception hormonale et de la grossesse sur les performances sportives est sous-estimée. Il y a pourtant de bonnes raisons de croire, par exemple, que des taux élevés d’œstrogènes sont bénéfiques, car ces hormones sont impliquées dans l’anabolisme musculaire.
« Au lieu de tenir pour acquis que les femmes répondent à l’exercice comme les hommes, de plus en plus de scientifiques développent des protocoles qui tiennent compte de leurs spécificités », se réjouit Myriam Paquette, qui travaille entre autres au Centre national de cyclisme de Bromont. Cela dit, il est encore trop tôt pour formuler des lignes directrices à ce propos. « Les études montrent des désaccords. Pour six études traitant de l’effet du cycle menstruel sur le gain de force musculaire, trois affirment une chose et trois disent le contraire. » Les principales intéressées gagnent tout de même à continuer d’étudier ces questions.
Encore plus de données
L’époque où le temps passé sur la selle et la distance parcourue constituaient les seuls indicateurs accessibles aux cyclistes est révolue. Grâce à l’explosion des appareils personnels connectés, il est plus facile que jamais d’être ensevelis sous un déluge de données aussi diversifiées qu’exotiques. Envie de jauger votre degré de fluidité en descente ? De vérifier comment votre corps réagit à la chaleur et à l’altitude ? Voire de détailler le nombre de sauts effectués, leur distance et la durée de suspension dans les airs, à vélo de montagne ? C’est possible. La quantification de soi à son apogée.
L’accès à de telles mesures est d’autant plus encourageant que leur qualité s’est beaucoup améliorée dans les dernières années. « Les premières générations du bracelet Whoop [qui calcule notamment la variabilité de la fréquence cardiaque] fournissaient des données de piètre qualité. Il s’est heureusement beaucoup amélioré depuis », illustre la kinésiologue de formation. N’empêche, l’apport de l’œil humain demeure toujours nécessaire. « La donnée vaut peu de choses si elle est décontextualisée, c’est-à-dire détachée de la réalité propre de l’athlète. »
Un entraînement sur mesure
Dans ses rêves les plus fous, Myriam Paquette espère que des outils rendront possible une encore plus grande individualisation de l’entraînement. « Imaginez un gadget grâce auquel il serait possible d’analyser la typologie musculaire, mais sans prélever un morceau de muscle du cycliste. Ce serait génial ! » s’exclame-t-elle. Les avancées en génomique pourraient aussi engendrer des retombées qui seraient synonymes de meilleure prescription de la charge d’entraînement, de micropériodisation. Bref, d’une amélioration de la qualité globale de l’entraînement.
En clair, il est question de solliciter l’athlète selon son profil individuel plutôt que de lui fourguer, par exemple, des séances génériques d’entraînement par intervalles. De quoi remettre en doute l’existence de « non-répondants » à l’exercice, ces individus chez qui l’entraînement est inefficace. « Le discours à ce sujet a beaucoup évolué au cours des dernières années. Désormais, on pense que l’enjeu se situe davantage du côté de la stimulation, qui est inadéquate chez certaines personnes », indique Myriam Paquette. Le message est simple : si une approche fonctionne mal pour vous, essayez-en une autre.
La fin du surentraînement ?
Le surentraînement se définit comme une réduction des performances et un état de fatigue chronique persistant sur une période d’un à plusieurs mois, selon une fiche informative du gouvernement du Québec sur le sujet. Une de ses caractéristiques phares est sa persistance ; il s’installe et perdure malgré une phase de récupération prolongée où les charges d’entraînement sont pourtant revues à la baisse. Autrement dit, même la suppression de ses causes premières ne suffit pas toujours à l’enrayer. Comment cela s’explique-t-il ?
La réponse pourrait se trouver du côté du déficit énergétique relatif dans le sport, mieux connu sous le nom de syndrome RED-S. En gros, il s’agit d’un déséquilibre entre l’énergie dépensée et accumulée qui amène le corps à puiser dans ses réserves. À long terme, cela peut précipiter un dérèglement hormonal, lequel serait à l’origine du surentraînement. « On comprend de mieux en mieux l’importance d’adopter des stratégies nutritionnelles optimales, mais aussi de privilégier un sommeil adéquat, de gérer le stress, et ainsi de suite », conclut Myriam Paquette.