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Actualités, Reportage

Dans les coulisses du Tour de l’Île

20-05-2025

Tour de l’Île, 4 juin 2023 © Judicael Aspirot

Des milliers d’heures de travail sont nécessaires pour organiser la plus grande sortie à vélo de l’année au Québec. Coup d’œil à l’intérieur du Tour de l’Île à l’occasion de son 40e anniversaire.

Laurence Léger Dumais se lance dans la préparation du parcours dès le mois de janvier. @ Thierry Aubert

Nous sommes à la fin de janvier, par une journée froide et ensoleillée – il fait -12 ºC (température ressentie de -19, selon mon appli météo) –, et je m’apprête à faire le Tour de l’Île… à pied. Mon guide pour cette expédition insolite a l’habitude de marcher : chaque année, Laurence Léger Dumais, responsable du Tour de l’Île et de la signalisation , complète les 50 km de ce circuit six mois avant tout le monde, planchette à pince brune et crayon à mine à la main. Le but : déterminer le nombre de bénévoles, de clôtures, de cônes, et la longueur de ruban à disposer à travers la ville afin d’assurer la protection des cyclistes qui envahiront les rues.

Pour ma balade avec lui, il me donne rendez-­vous à la station de métro Viau. Je déborde de questions. Laurence me montre une carte du secteur qu’il a projeté de visiter aujourd’hui.

En route ! Aussitôt sortis du métro, il faut déjà s’arrêter. Il observe la rue et trace deux lignes : « Ici, la voie est plutôt large. Donc, il faudra deux barrières. » Quelques mètres plus loin, un autre arrêt : « Nous aurons besoin d’une voiture de police au coin là-bas pour rediriger les automobilistes. » Je le regarde avec ébahissement : en cinq minutes à peine, il vient de placer deux bénévoles, dix barricades et deux policiers. Au cours des deux heures suivantes, je prends conscience de l’ampleur de l’opération. Puisque le trajet prévoit que les cyclistes rouleront sur la rue Hochelaga vers l’est, Laurence Léger Dumais doit vérifier chaque rue transversale et noter tous les endroits qui pourraient être affectés par le Tour. Chaque stationnement commercial ou résidentiel est inscrit, chaque établissement prioritaire (incluant les églises), chaque ruelle qu’un automobiliste pourrait être tenté d’emprunter pour contourner l’interdiction de passage. Rien ne résiste à son analyse, ce qui explique qu’après tout ce temps nous ne soyons encore qu’à moins de 600 m du métro…

Cette tâche – qui implique aussi que Laurence transcrive toutes ses observations dans un logiciel dédié – lui prendra un peu plus d’un mois. Elle est essentielle pour assurer le bon déroulement de l’événement iconique.

On passe où ?

Lorsque l’automne pointe son nez et que beaucoup songent alors à ranger leur vélo pour l’hiver, Gabriel St-Pierre, chef coordonnateur des événements à Vélo Québec, commence à préparer le prochain Tour de l’Île : « En septembre, nous reprenons notre souffle après la saison qui se termine. Nous examinons les commentaires des participants et regardons où nous avons envie d’aller l’année prochaine. »

Première étape : déterminer le parcours. « Il faut décider si nous voulons un Tour plus funky ou plus sobre. » Déjà là, des visites sur le terrain, à pied ou en voiture, s’imposent. Puis, un mois et demi plus tard, une première version du trajet est tracée et envoyée à la personne responsable du dossier au service des événements publics et festivals de la Ville de Montréal. « Cette personne transmet le trajet à tous les services liés à la sécurité : la police, les pompiers, le ministère des Transports et de la Mobilité durable, Urgences-­santé, la Société de transport de Montréal, les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) des quartiers qu’on prévoit traverser – même l’unité antiterroriste est avertie, énumère Gabriel St-Pierre. Ensuite, ils reviennent avec leurs commentaires : “Ne passez pas là, c’est une caserne très occupée” ou “Si vous passez par là, ce sera plus facile pour nous” », illustre-t-il.

Tous ces commentaires sont pris en compte et une nouvelle version est présentée aux représentants de tous les services lors d’une rencontre en novembre. Après une dernière ronde de vérifications, le parcours est prêt à être envoyé aux arrondissements, qui le comparent avec leur carte des travaux à venir. « Nous voyons s’il est possible de décaler le calendrier des chantiers, et sinon, nous déplaçons un bout du trajet dans la rue à côté », détaille le chef coordonnateur.

Après plusieurs mois de travail, ça y est ! « À la fin de janvier, nous avons un parcours officiel », se réjouit Gabriel St-Pierre. C’est là que Laurence Léger Dumais entre en jeu, bottes aux pieds.

 

Ce sont 1200 bénévoles, aux mandats diversifiés, qui contribuent au bon déroulement de l’événement.

Bénévoles recherchés

Le travail de Laurence est primordial également pour Karine Leclerc-Tancrède, coordonnatrice de la mobilisation et du recrutement à Vélo Québec. Car une fois la carto­graphie du trajet terminée, elle sait combien de bénévoles elle devra recruter. En 2024, ce nombre s’élevait à 1200 personnes. Ces bénévoles jouent un rôle crucial le jour de l’événement. « Avant, nous avions des listes d’attente de gens qui voulaient faire du bénévolat », se remémore celle qui fait partie de l’organisme depuis 25 ans. Pourtant, à l’époque, le Tour était bien plus long, et nécessitait l’implication de 2200 bénévoles. « Aujourd’hui, il faut mettre beaucoup plus d’effort pour recruter des bénévoles, et nous en trouvons moins », reconnaît la coordonnatrice, sans toutefois se décourager.

Pour accomplir sa tâche titanesque, la coordonnatrice ne lésine pas sur les moyens : elle prépare des vidéos et documents promotionnels conçus pour convaincre les personnes qu’elle rencontrera au cours de ses visites terrain. « Mon équipe sort souvent du bureau pour recruter des bénévoles dans les classes de francisation ou les écoles secondaires qui ont un programme de bénévolat obligatoire pour leurs élèves », précise-t-elle. Heureusement, elle peut compter sur ses bénévoles fidèles : 60 % des personnes qui se sont déjà impliquées tendent à revenir les années suivantes.

C’est le cas de Réal Tremblay qui, depuis 25 ans, répare des crevaisons, ajuste des freins ou des selles de vélo pour le Tour. « C’est dans l’équipe de mécanos qu’on retrouve le plus de bénévoles qui sont là depuis une éternité ! » lance-t-il en souriant. Après avoir pédalé le Tour de l’Île en tant que participant durant quelques années, il a décidé de s’engager à titre de bénévole. « J’avais tout le temps mes outils avec moi ; donc, je réparais régulièrement des vélos de toute façon », explique-t-il.

Quel type de pépin technique rencontre-t-il le plus fréquemment ? « Tout peut arriver, résume-t-il, d’un ton philosophe. Le but n’est pas de faire une belle réparation, mais de permettre aux gens de poursuivre leur parcours. » Il a souvenir d’avoir réglé un problème de dérailleur en transformant un vélo en single speed. « C’est vrai qu’il y a un aspect bricolage… » Tout occupé à réparer les bécanes qu’il croise, il est souvent rattrapé par le « balai », le convoi de fin de parcours qui comporte un autobus dans lequel les participants trop fatigués peuvent embarquer. « Je pourrais sûrement compléter les 50 km en deux heures et demie, mais je suis généralement sur le parcours au moins pendant huit heures », observe le mécano.

Les bénévoles et les artisans du Tour de l’Île

Les bénévoles en 2023

47 % femmes   /  53 % hommes   /  14-17 ans – 17 %   /  18-34 ans – 29 %

35-54 ans – 26 %   /  55 ans et + – 20 %   /  Indéterminé – 8 %

55 % des bénévoles sont sur le parcours,

20 % sur les différents sites,

20 % s’occupent de la mécanique et des premiers soins,

et 5 % gèrent les transports.

100 % des chefs d’équipe manifestent le désir de s’engager à nouveau pour l’édition suivante du Tour.

1200 bénévoles ont été recrutés en 2024 pour encadrer 18 000 cyclistes.

Merci à Yves Guilbault et à Pierre Meunier, deux bénévoles du Tour de l’Île depuis presque 40 ans !

S’inscrire pour être bénévole au Tour de l’Île

 

Les artisans

25 personnes salariées travaillent à l’organisation de l’événement,
et parmi ceux-ci, on compte le personnel du service des communications et du marketing,
du service à la clientèle, des finances, du recrutement des bénévoles…

Le Tour de l’Île exige la collaboration de nombreux partenaires. © Nicolas Bourdeau

 

Le directeur du service à la clientèle Vincent Allard est l’encyclopédie du Tour de l’Île ; il en connaît tous les rouages. © Michel-Ange Rodriguez

Prêts à tout !

Lorsque je demande au directeur du service à la clientèle de Vélo Québec, Vincent Allard, s’il a déjà vécu une catastrophe pendant le Tour, il répond spontanément : « En 1998 ! »

À l’emploi de Vélo Québec depuis le siècle dernier, en 1992, il est une véritable encyclopédie du Tour de l’Île. Il faut dire aussi qu’en raison de son poste, il est le premier à savoir s’il y a un problème sur le plan de l’organisation. « Si tu as fait une erreur en envoyant les 18 000 dossards, tu vas t’en mordre les doigts parce que tout le monde va t’appeler », plaisante-t-il. Tant qu’on peut en rire après…

Mais que s’est-il passé de si horrible en 1998 ? « C’est la seule fois où je me suis découragé, confie Vincent Allard. La météo au début de la matinée laissait présager une belle journée de printemps. Or, les vents se sont levés et soufflaient furieusement, se rappelle-t-il, puis la température a chuté radicalement. » Et « les gens étaient à moitié habillés ! » se souvient aussi France Thiboutot, qui a occupé le poste de directrice des opérations jusqu’en 2019. « La police a décidé de mettre fin à l’événement, alors que plusieurs personnes étaient encore sur le parcours en train de rouler. » Le désarroi causé par cette édition catastrophique a mené au renforcement des mesures de sécurité, notamment l’identification de lieux où les cyclistes peuvent se réfugier en cas d’intempéries soudaines. Une précaution qui demeure surtout théorique depuis, et c’est tant mieux.

 

Le chef coordonnateur Gabriel St-Pierre peut enlever son chapeau uniquement à la fin de l’événement. © Christine Charette

Le jour J

La préparation des sites de départ et d’arrivée s’effectue quelques jours avant l’événement, avec le marquage et l’installation de toilettes, chapiteaux, kiosques, etc. Sur le parcours, 700 panneaux sont installés pour indiquer les rues qui seront fermées pendant l’événement. Avec la page Infocirculation sur le site de Vélo Québec et l’information diffusée, cela complète la liste de tous les éléments mis en place pour aider la population à planifier ses déplacements.

Le jour J, Gabriel St-Pierre arrive au travail à deux heures du matin et s’installe dans le « centre nerveux » (CN) déployé dans les bureaux de Vélo Québec pour l’occasion. L’équipe du site de départ sera à pied d’œuvre à partir de 5 h pour finaliser l’accueil des participants (signalisation, entonnoir pour le départ, kiosques d’inscription). Le chef coordonnateur, tel un Jean-Luc Picard à la tête de l’Enterprise, garde un œil sur ses collègues responsables de la fermeture du parcours, des bénévoles à vélo ou en moto, du site de départ et d’arrivée, du transport des bénévoles. « Je surveille le minutage, je les écoute. S’il y a un bout crunchy et que la personne responsable ne sait pas quoi faire, j’embarque et je gère la situation. » Le reste du temps, il se contente de distribuer des bonbons à ses collègues en les encourageant.

Le départ est prévu pour 9 h 15. Sur le site, les cyclistes attendent dans un immense entonnoir. Trente minutes avant, c’est un moment charnière. Avant de donner le départ, il faut attendre l’information sur l’état de fermeture des rues avec l’arrivée des bénévoles et des policiers sur le parcours. La communication est constante entre le CN, le centre de commandement de la police et la ligne de départ. Il y a de la fébrilité dans l’air. Au signal de départ, les véhicules et les motos de tête s’élancent devant les cyclistes pressés de donner leur premier coup de pédale. Les participants coulent dans l’entonnoir de façon régulière pendant environ une heure et demie, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne. Les véhicules-balais bouclent le convoi des cyclistes, puis l’axe de départ est fermé.

« Si je cogne des clous à 14 h, c’est que tout va bien », rigole Gabriel St-Pierre. Malgré le stress, malgré la préparation qu’exige l’événement, il déclare sans hésiter : « C’est ma plus belle journée de l’année ! »

Pour les adeptes du Tour de l’Île, toute cette préparation passe généralement inaperçue. Pourtant, les employés de Vélo Québec et les bénévoles auront réussi un tour de force quasiment inimaginable : mettre sur pied, depuis 40 ans, l’un des événements les mieux organisés en ville. « Quand je pense au Tour de l’Île, je pense toujours au fait que nous rassemblons une foule de cyclistes afin qu’ils puissent partager ensemble le plaisir de découvrir la ville, et que celle-ci leur appartient durant quelques heures, conclut Vincent Allard. Je souhaite que le Tour puisse un jour fêter son 100e anniversaire ! »

Photos: @ Thierry Aubert, Nicolas Bourdeau, Christine Charette, Maxime Juneau, Michel-Ange Rodriguez,

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