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Le blogue de David Desjardins, Santé

Privé d’identité

14-09-2015

Tout allait merveilleusement.

J’étais dans ma meilleure forme, ma plus explosive saison de course à vie. Des podiums , du beau et du bon millage (une semaine en Virginie ; deux autres, paradisiaques, à Majorque), et un programme d’entraînement scrupuleusement respecté qui me portait jusqu’au début d’une saison de cyclocross prometteuse.

J’avais le vélo dans la peau.

Puis, il eut cette sortie, comme les autres, sans histoire particulière. Il faisait beau, je venais de pulvériser deux KOM dans la montée du camping de la plage Fortier. Puis, un mouvement malheureux du coéquipier avec lequel je roulais a changé le cours de ma saison. Soudainement, mes roues ne touchaient plus au sol, mon corps était suspendu, les secondes s’étaient suffisamment dilatées pour que j’aie le temps de répéter: oh merde, oh merde, oh merde.  Et puis la gravité est intervenue: le crash à 40km/h. Casque cassé, vêtements en lambeaux, plaies sanguinolentes. J’ai insisté pour repartir à vélo, on m’a fait comprendre qu’il s’agissait d’une bien mauvaise idée. La sirène de l’ambulance hululait au loin.

À l’hôpital, verdict de la radio sans appel: clavicule fracturée. Au moins huit semaines de convalescence. Fin de partie.

Dix jours plus tard, la douleur passée, c’est le manque qui se fait sentir. Celui de la vitesse, des muscles poussés à bout. Les endorphines. La douce euphorie qui nous porte ensuite jusqu’au sommeil, dans lequel une heureuse fatigue nous fait doucement sombrer.

On parle souvent des dangers de l’excès du sport, un peu moins des affres de la privation forcée : je ne peux pas encore, après 10 jours, monter sur mon vélo dans la cave,  ne pourrai pas courir avant encore un mois,  si je roule dehors avant qu’il neige ce sera un miracle. Et je capote.

Selon l’Ordre des psychologues du Québec, malgré que les recherches ne soient pas entièrement concluantes, il semble évident que l’une des causes de la hausse des problèmes de santé mentale réside dans la sédentarité, qui afflige au moins 30% de la population.

Le problème n’est donc pas que physique. Et mon manque ne touche pas uniquement la possibilité de manger 4000 calories pas jour sans m’en soucier. La chimie du sport est aussi mentale, et l’activation de mon corps permet de chasser le stress, le blues et cette légère inclination pour la dépression et la colère qui m’ont longtemps pourri l’existence.

Antidépresseur, donc, le sport est ce qui me garde à flot. Il me permet de vaincre mon léger déficit d’attention, d’autant plus menacé, désormais, par le butinage du web. Le sport me confère l’équilibre qui me manque autrement.

Mais plus encore, le manque qui relève d’un sevrage pour le junky de mon espèce, s’attaque à la fibre même de ce que je suis. Me voilà donc privé d’une drogue, d’un médicament, d’un plaisir essentiel, d’une chose qui s’est glissée dans la pyramide des besoins de Maslow pour venir s’inscrire comme un tatouage dans ma tête. Car, avant d’être bien d’autres choses (journaliste, auteur, etc.), je suis cycliste. Rouler, c’est ce que je fais, mais aussi ce que je suis. Me voici donc, en plus du reste, temporairement privé de mon identité.

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