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Le blogue de David Desjardins

L’amour à la machine

17-06-2020
cycling hard

Le corps est une bête sauvage qui doit être domptée. On appelle cela l’entraînement. Mais il est aussi fragile, sensible. Et parfois, la tête n’y peut plus rien.

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Une machine, vous dites? Le corps est tellement plus, tellement mieux qu’un simple agencement de câbles et de capteurs, de pistons et de pompes. Il est temps de renoncer aux métaphores qui, jouant du compliment, confinent nos chairs à sa mécanique. Parce que c’est injustement réducteur. Prenons le contexte dans lequel on emploie la figure de style. L’expression courante: t’es une machine.

Or, non, justement. Si mon corps performe, c’est surtout parce que ma tête le lui permet. La motivation, l’organisation, le courage d’aller au-delà de ce moment où les voyants de la mécanique s’allument sur le tableau de bord mental et indiquent check engine, bien qu’aucun état d’urgence ne le justifie, tout cela est particulier à l’humain, son libre arbitre. Ce que les disciples d’un Stan bien connu désignent affectueusement comme «la force du mental».

Aucune machine, pas même une intelligence artificielle, ne peut aussi prétendre être le siège de l’âme, comme c’est le cas du corps humain. Aucune n’est dotée de conscience.

Ce n’est pas une affirmation théologique que je fais ici. Quoique philosophique, oui. Car même le plus matérialiste (toujours au sens philosophique) d’entre nous ne pourra nier qu’il existe en nous des élans du cœur, de la pensée, des humeurs, qu’on ne trouve pas dans les autres mécaniques. Peut-être ces choses sont-elles le simple produit d’une chimie cérébrale, direz-vous? Ce serait faire fi de l’apprentissage, de l’environnement. La conscience se forge. Elle est le produit d’une culture. Et c’est elle qui commande à la machine.

Après, il y a la génétique qui produit différents types de moteurs, pour filer l’imparfaite métaphore. Mais chacune, chacun a le loisir d’en faire l’usage qu’il souhaite, de le mettre à sa main, de lui faire faire des choses insensées, ou pas.

Je chéris mon corps comme je le fais de mon intelligence. Je les nourris, les bichonne. Ils sont ma fierté. Parfois, aussi, l’objet d’une certaine vanité, et il arrive que je les parade. Dans une phrase ou un skin suit.

Reste que c’est sur le vélo qu’ils cohabitent le mieux. Et la fierté que j’en tire vient essentiellement d’un changement de mentalité. De comment j’ai appris à ma conscience à recevoir la douleur, à aller au-delà, et à en faire un jeu où la gagne n’est pas qu’un podium, mais le cumul de ces moments où le corps surprend la tête et où la tête parvient à tromper le corps.

Ce sont des jours magiques où l’on «marche», comme on dit dans le jargon cycliste, et qui sont des moments de surprise et de ravissement. Ce sont les fois où l’on parvient, par la simple force de son caractère, à contraindre un corps meurtri à poursuivre, bien qu’il pousse de hauts cris.

Le corps est une bête sauvage qui doit être domptée. On appelle cela l’entraînement. Mais il est aussi fragile, sensible. Et parfois, la tête n’y peut plus rien.

J’écris ces lignes en réclusion pour cause de pandémie. Fauve confiné. Privé de course, de voyages, de plans pour les prochains mois. Tétanisé par la peur en songeant à la santé de ses proches. De ses économies. Les machines ne connaissent pas ces sentiments. Ni l’extase de réaliser le privilège dont elles disposent. Comme lorsqu’on réalise à quel point le corps qui pédale est source de bonheur, que de gravir des montagnes, traverser des pays ou faire le tour de la ville sont mieux qu’une dépense énergétique, que le résultat de mouvements mécaniques. Ce sont, souvent, des instants de pure félicité qui n’appartiennent qu’à nous, humains.

 

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