C’est un lieu commun : les sensations, bonnes ou mauvaises, font foi de tout sur deux roues. Mais finalement, pas nécessairement. L’attention, ou pleine conscience, a aussi son rôle à jouer.
Si Épictète, Sénèque et Marc Aurèle avaient vécu à notre époque, ils seraient de grands amateurs de vélo de route. Cette discipline constitue en effet un véhicule parfait pour appliquer la pensée de ces grands noms du stoïcisme. Au cœur de leur doctrine philosophique figure en effet l’idée selon laquelle les êtres humains sont moins troublés par les événements comme tels que par les représentations qu’ils s’en font. Autrement dit, que nos pensées influencent nos émotions, et vice versa, formant ainsi une boucle de rétroaction positive ou négative.
Pas convaincu ? Songez à la dernière fois où vous avez grimpé une longue, très longue bosse. Cette expérience est banale, mais tout sauf neutre. Si les copains vous larguent pour ensuite vous attendre au sommet en tapant du pied, vous interpréterez assurément le tout comme une blessure à votre ego. Dépasser d’autres cyclistes, voire ravir une couronne (c’est-à-dire un record de segment) sur Strava vous fera au contraire sentir comme un dur à cuire de la pédale. Rouler sous la pluie, avoir une crevaison, évoluer dans un peloton… autant de situations où la sagesse stoïcienne mérite d’être appliquée.
EFFORT D’ATTENTION
« Le va-et-vient incessant entre les pensées et les émotions est un processus qui échappe à notre contrôle », confirme Sarah Brisson-Legault, consultante en performance mentale. Celle qui travaille entre autres avec les équipes sportives des Carabins de l’Université de Montréal insiste sur l’importance de (re)devenir maître de son activité mentale. « L’habileté à observer ce va-et-vient sans en faire tout un plat est un atout inestimable. La pleine conscience permet de diriger ses ressources attentionnelles vers des éléments utiles plutôt que nuisibles à la performance. »
Cette posture stoïque se cultive – et pas seulement avec l’achat d’une paire de lunettes qui renforce l’attitude je-m’en-foutiste si chère aux routiers ! Selon Sarah Brisson-Legault, la capacité à concentrer sciemment son activité mentale sur quelqu’un ou quelque chose est entraînable. « Contrairement à ce que pensent plusieurs athlètes, on peut développer cette qualité. Cela passe par une pratique délibérée de la pleine conscience », souligne celle qui a remporté l’été dernier le Prix du jeune professionnel de l’Association canadienne de psychologie du sport en reconnaissance de ses pratiques professionnelles exceptionnelles dans le domaine.
5 STRATÉGIES GAGNANTES POUR TRIOMPHER
1 • REVISITER SES CROYANCES
Nombre de cyclistes accordent une importance démesurée à la manière dont ils se sentent sur leur vélo. Mais doutes, joies et colères sont pourtant de bien mauvais prédicteurs de performances sportives, affirme Sarah Brisson-Legault. « D’un point de vue social, nous aimons croire que les athlètes qui réussissent le mieux sont épargnés par le stress, ce qui est une illusion. L’excellence dépend en fait de la capacité à se distancier de ses pensées et émotions », nuance l’experte. Que celles-ci soient bonnes ou mauvaises, vous gagnez à relativiser ce que vous ressentez.
2 • COMPRENDRE SES SCHÉMAS
Vous avez l’impression de sans cesse retomber dans les ornières de vos pensées et émotions envahissantes ? Un petit détour du côté des sciences cognitives s’impose peut-être. Une meilleure compréhension des mécanismes fondamentaux de la conscience est en effet le premier pas à franchir pour se libérer de ses ruminations. « La “dureté du mental” est un mythe aussi faux que tenace, déplore la kinésiologue de formation. Les seules choses sur lesquelles nous avons du contrôle sont notre attention et les gestes que nous posons. »
3 • PRATIQUER L’AUTOCOMPASSION
La pleine conscience est un outil parmi tant d’autres dans le coffre à outils mentaux du pratiquant d’un sport individuel. Ce dernier devrait aussi apprendre à manier la bienveillance envers lui-même, ou autocompassion. « Les athlètes sont souvent très durs avec eux-mêmes, comme si s’autoflageller allait de pair avec le fait de se fixer des objectifs élevés. Or il n’y a rien de plus nocif, car on développe ainsi une peur viscérale de l’échec qui pousse à la procrastination », met en garde Sarah Brisson-Legault. À noter que pleine conscience et autocompassion se complètent l’une l’autre.
4 • PÉRIODISER L’ENTRAÎNEMENT ATTENTIONNEL
Comme pour toutes les qualités sportives, il faut idéalement choisir les moments dans le calendrier sportif pour solliciter, entretenir, affûter, reposer ses capacités attentionnelles. Pas question par exemple d’entamer un cycle intense de développement de la conscience de soi et de son monde émotif à la veille d’une compétition importante. « Il y a de fortes chances d’occasionner une surcharge cognitive. On cherchera plutôt à s’allouer des périodes de calme et de réflexion pour laisser au cerveau le temps de décompresser », préconise Sarah Brisson-Legault. Cette pratique se nomme le repos éveillé, ou wakeful resting.
5 • DÉVELOPPER UNE ÉCOLOGIE DE L’ATTENTION
On valorise ce qu’on a repéré par un effort d’attention et on prête attention à ce qu’on a appris à valoriser. L’air de rien, cette dynamique d’autorenforcement est aujourd’hui au cœur de luttes intenses entre entreprises qui veulent votre bien (et qui finissent par l’avoir) en garnissant votre vélo de multiples capteurs. Il en retourne qu’il est impératif de protéger jalousement cette ressource limitée qu’est votre attention. Cela signifie d’interroger l’usage que vous faites de ces ajouts technos qui quantifient chacun de vos coups de pédale.
