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Femmes et vélo • Une histoire de cœur

20-06-2017

Où en est-on ?

Vélo de montagne

Photo:Liv Cycling

Féminisation sur fond de démocratisation

C’est une réalité : les femmes sont plus nombreuses qu’il y a quelques années à rouler en sentiers. Une hausse qui serait due entre autres à la démocratisation du sport.

Maintes fois durant l’été, Marie-France Tessier voit des passions naître sous ses yeux. « Souvent, ça commence avec le conjoint qui initie sa copine au vélo de montagne. Puis tous deux reviennent à quelques reprises, jusqu’au jour où la femme devient complètement autonome », raconte la responsable de l’expérience client à Vallée Bras-du-Nord, près de Québec.

Là-bas, comme ailleurs au Québec, on estime que les femmes représentent aujourd’hui une part grandissante de la clientèle de vélo de montagne. Selon Marie-France Tessier, cette féminisation du sport s’inscrit dans le contexte plus large de sa démocratisation. « Notre réseau de sentiers est plus fréquenté que jamais. La clientèle féminine suit un peu cette tendance », estime-t-elle.

Des statistiques colligées par la Fédération québécoise des sports cyclistes (FQSC) confirment d’ailleurs une progression de 20 % du nombre de licences attribuées en 2016, tous sexes et secteurs (enduro, cross-country, etc.) confondus. Et, bon an mal an, les femmes représentent environ 20 % des licenciés hors route.

Pratique récréative

D’après Fabien Blot, coordonnateur du secteur vélo de montagne de la FQSC, l’accroissement de la présence des femmes dans les sentiers s’observe surtout dans le cadre d’une pratique récréative et non compétitive. Par exemple, entre 2015 et 2016, les licenciées récréatives en vélo de montagne sont passées de 214 à 330, une augmentation de plus de 50 %. « Ce sont toutes des cyclistes qui roulent en club et entre amis », ­précise-t-il.

L’avènement de groupes à forte teneur féminine n’est pas étranger à ce phénomène. Ici et là, des initiatives structurées, comme les Mudbunnies ou les Chèvres de montagne, rassemblent des cyclistes autour d’une passion : pédaler dans la bouette. À Vallée Bras-du-Nord, on jongle même avec l’idée d’organiser ponctuellement des rencontres sportives destinées aux cyclistes féminines – séances de yoga, nuitées en hébergement et prix réduits inclus !

Paradoxalement, la prise de possession des sentiers par les femmes est peut-être juste une preuve indirecte du statut « grand public » d’une activité longtemps considérée comme casse-cou. « La conception de sentiers accessibles a ouvert la porte à cette clientèle moins téméraire par nature », analyse Francis Tétrault, chargé de projet vélo de montagne chez Vélo Québec Association. Pour lui, le verdict est clair : « Maintenant, tout le monde connaît quelqu’un qui ride, et ce, peu importe le sexe. » M.B.

 

Vélo de route

BRAVAPhoto:Brava

Un cap important

Il y avait 33 % de femmes aux premiers Grand Tour organisés par Vélo Québec, en 2016, elles étaient 43 %. Cette augmentation traduit bien la réalité du cyclisme sur route d'aujourd'hui.

« De manière relative comme absolue, la participation féminine a augmenté », confirme Amélie Lepage, directrice technique du programme Cyclisme pour tous de la FQSC. À son avis, cette croissance s’explique par la popularisation du sport cycliste ainsi que par l’émergence de nouveaux rendez-vous sportifs aux quatre coins de la province. « Il y a davantage de rouleuses sur les routes », dit-elle.
L’évolution de la participation féminine aux Défis du Parc illustre bien ce phénomène. Les femmes n’étaient que 5 % à la première édition, en 2004, et elles représentent aujourd’hui 35 % des concurrentes à cette cyclosportive qui a lieu chaque année dans le parc national de la Mauricie.

Étiquette masculine

Il n’en a pas toujours été ainsi. À ces défis cyclistes de masse, parfois qualifiés de « courses », a été accolée dès leurs débuts et longtemps par la suite une étiquette masculine. Pendant les saisons 2009 et 2010, tandis qu’on en dénombrait une quinzaine, auxquels prenaient part généralement de 300 à 400 personnes, la présence féminine flirtait à peine avec 15 %, en moyenne.

Amélie Lepage se souvient bien de cette époque. Alors qu’à des événements participatifs et de masse comme le Tour de l’Île, la participation féminine était équivalente à celle des hommes (50/50), c’était loin d’être le cas aux cyclo­sportives plus traditionnelles. « La peur de rouler vite en peloton, sur fond compétitif, en dissuadait certaines de prendre part à ces grandes fêtes cyclistes », raconte-t-elle.
C’est de ce raisonnement qu’est née L’échappée belle, réservée exclusivement à la gent féminine. L’idée est simple : proposer un défi de 45 km, 80 km ou 100 km pendant lequel l’accent porte sur la qualité de l’expérience plutôt que sur la compétition. La cyclosportive initiée et organisée par la FQSC est tenue chaque année depuis sept ans au vignoble Val Caudalies, dans les Cantons-de-l’Est.

Défis non chronométrés

Même s’il est significatif, le plateau de 25 % de participantes atteint dans les cyclosportives québécoises reste modeste. Surtout, il se situe très loin des défis cyclistes non chronométrés. Prenons le cas du Grand Tour, organisé par Vélo ­Québec : en 2016, 43 % des quelque 1700 cyclistes étaient des femmes.

Une réalité que Joëlle Sévigny, directrice générale de la division Événements et voyages de Vélo Québec, explique par la grande accessibilité de la formule. « Un défi de distance plutôt que chronométré offre aux participantes une flexibilité accrue : si on ne se sent pas bien un matin, on peut décider d’opter pour un parcours de 50 km au lieu des 100 km prévus », illustre-t-elle.

Le phénomène se vérifie pareillement aux Défis de l’été de Vélo Québec. Lors de ces événements aux distances de 50 km, 75 km, ­100 km, 125 km ou 150 km, la participation féminine oscille autour de 35 %. M.B.
 

Vélo urbain

La pratique féminine, ce baromètre

Si vous voulez connaître le niveau de réussite d’une ville en matière de vélo urbain, examinez le nombre de femmes qui y pédalent. C’est en tout cas ce que concluent les travaux de John Pucher, professeur émérite en aménagement urbain à l’Université Rutgers, dan l’État du New Jersey.

Au cœur de cette idée, il y a l’aversion prononcée des femmes pour le risque – du moins, plus prononcée que celle des hommes. Sur les routes, cette aversion se traduit en une plus grande demande d’infrastructures cyclistes sécuritaires et efficaces. Si celles-ci sont absentes ou parsemées de liens manquants, la proportion de cyclistes urbaines chute automatiquement. Elle s’inverse dans le cas contraire.

À Amsterdam, souvent citée comme un exemple en matière de cyclisme utilitaire, les va-­­et-vient des femmes représentent au-delà de la moitié des déplacements à vélo. « Tout ce qui s’approche de la parité ou la dépasse montre que le réseau cyclable est 100 % sécuritaire et fonctionnel », constate Marc ­Jolicoeur, directeur de la recherche chez Vélo Québec Association.

À Montréal, 46 % des cyclistes sont des femmes, indique L’état du vélo au Québec en 2015. Ce pourcentage chute toutefois à 37,6 % lorsqu’on compare le nombre de déplacements utilitaires effectués sur le territoire de la métropole. « Montréal est déjà meilleure que beaucoup d’autres villes nord-américaines à ce chapitre », précise Marc Jolicoeur. M.B.
 

Dans les coulisses de la compétition féminine

Le gouffre est profond entre le sport cycliste féminin et son équivalent masculin. La réalité tend néanmoins à changer.


Gérard Penarroya pilote l'équipe Sas-Macogep-Acquisio

Photo:Ines Jussaume

Saviez-vous qu’une équipe cycliste féminine dispose d’un budget de 10 à 30 fois moins élevé qu’une équipe masculine ? Qu’une seule des formations françaises est en mesure de payer quelques-unes de ses coureuses – au salaire minimum, le SMIC ? Que le sexisme et l’intimidation envers les athlètes de sexe féminin sont si systémiques dans le milieu que la Fédération britannique de cyclisme a cru bon de produire un rapport à ce sujet ? Bienvenue dans le monde de la compétition féminine.

Karol-Ann Canuel connaît bien cet univers dans lequel elle évolue comme semi-professionnelle depuis 2010, puis comme professionnelle depuis 2014. Cette année, elle vivra sa deuxième saison au sein de la formation néerlandaise Boels-­Dolmans, l’une des 44 équipes féminines reconnues par l’Union cycliste internationale (UCI). Et l’une des rares sur le circuit à rémunérer l’ensemble de ses onze coureuses.

Son salaire ? Elle refuse de le dévoiler, « parce qu’il est incomparable à celui des hommes », ­explique-t-elle. Selon des chiffres rapportés par The Guardian en 2014, il doit néanmoins avoisiner les 30 000 $, soit le salaire moyen gagné par les coureuses rétribuées. Par comparaison, le salaire minimum d’un coureur est de 50 000 $ (selon une entente avec le CPA – Cyclistes professionnels associés), et un bon ­domestique va gagner dans les 140 000 $ alors que le haut du panier dépasse les 350 000 $.

L’écart est d’autant plus choquant que les coureuses font le même métier que leurs collègues masculins. Par exemple, Karol-Ann Canuel a commencé sa saison 2017 à Gatineau, en novembre dernier, à peine quelques semaines après sa participation aux Championnats ­du monde sur route 2016 à Doha, au Qatar. Sont ensuite venus les camps d’entraînement en Europe et ailleurs, de décembre à janvier, puis les premières compétitions au début de mars. À la fin de la saison, en septembre, elle se sera alignée sur la ligne de départ de près de 50 courses, sans parler des milliers de kilomètres avalés à l’entraînement.

Une misère ? Pas selon la principale intéressée. « J’ai la chance d’être payée pour pédaler et m’entraîner. Beaucoup voudraient être à ma place. Je suis choyée de pouvoir vivre ce rêve. »

Pas pour le salaire

Cette chanson, Gérard Penarroya l’a entendue à maintes reprises. Arrivé au cyclisme féminin en 2005 à la suite d’une offre qui lui a été faite par l’antenne canadienne du fabricant de vélos Specialized, il a piloté depuis maintes formations de coureuses à titre de directeur sportif. Sous sa gouverne, des Audrey Lemieux, Joanie Caron et Lex Albrecht ont fait la pluie et le beau temps dans les pelotons féminins ici comme ailleurs. En 2017, on le retrouve à la tête de Sas-Macogep- Acquisio  propulsée par Mazda, une équipe franco-canadienne de quinze coureuses âgées de 22 à ­41 ans, dont neuf Canadiennes.

De son propre aveu, Gérard ­Penarroya fait sans relâche des pieds et des mains pour garder viable ce groupe. Difficile recrutement des commanditaires, soutien limité de la part des fédérations sportives, perception erronée du vélo féminin : plusieurs raisons expliquent pourquoi son équipe est la seule formation licenciée par l’UCI au Canada. « Je dois toujours me bagarrer pour notre survie. Mais si je ne le fais pas, personne ne le fera », fait-il valoir.

Avec son budget d’exploitation de 300 000 $, Sas-Macogep-­Acquisio reste cependant une petite équipe – celui de la brigade féminine de la Française des jeux dépasse un million de dollars. Seules certaines de ses coureuses sont rémunérées, à hauteur de quelques milliers de dollars par année chacune. Ce n’est pas le cas de Christel Ferrier-­Bruneau, ­37 ans et mère d’un garçon de deux ans et demi. Pour pouvoir « vivre ce rêve », cette coureuse au CV bien garni doit donc travailler le jour.

La cycliste franco-canadienne ne se plaint toutefois pas de sa situation. « Le transport aux courses est fourni, tout comme l’hébergement et la logistique lors de ces dernières. De plus, chaque athlète se voit pourvue de l’équipement, dont deux vélos de haute qualité », énumère-t-elle.

Des pas dans la bonne direction

Heureusement, tout n’est pas noir dans l’univers rose du cyclisme féminin. En 2016, l’UCI a mis sur pied une série de courses WorldTour pour les femmes. Au total se sont tenus 35 jours de course d’un jour et de tours lors de 17 événements distincts. Si on compare à la défunte série de Coupe du monde, c’est une augmentation de 60 % du calendrier féminin. En 2017, celui-ci continue de prendre de l’expansion : 47 jours de course en 21 événements !

Selon l’UCI, la volonté affirmée de développer le cyclisme féminin est due au travail du président Brian Cookson. Dès son arrivée en 2013, le Britannique a ordonné la mise sur pied d’une Commission Femmes, qu’il a confiée à la championne olympique australienne Tracey Gaudry.

Les résultats ne se sont pas fait attendre : dès l’année suivante avait lieu La Course by Le Tour, une épreuve féminine qui se tient quelques heures avant les derniers tours de circuit urbain des hommes dans Paris, au Tour de France. En 2017, pour sa quatrième édition, l’épreuve se déroule le même jour que l’étape du Tour, avec une arrivée en haut du col de l’Izoard. La Vuelta a aussi son pendant depuis quelques années : la Madrid Challenge by La Vuelta, en septembre.

Cette mise en vitrine, tout comme les mesures qui l’accompagnent (webdiffusion par l’UCI, captation vidéo obligatoire par les organisateurs, etc.), ne change cependant rien aux préjugés de la population envers le cyclisme féminin. Réputées moins agressives, les coureuses livreraient, disent les mauvaises langues, un spectacle moins enlevant que celui offert par peloton masculin. Le vélo féminin est-il plate ?

Que nenni ! clame Marie-Claude Lemelin. Selon celle qui a longtemps été soigneure dans des équipes féminines professionnelles, c’est faire preuve de méconnaissance crasse que d’affirmer une telle chose. « Je pense au contraire que les courses masculines sont plus prévisibles que les féminines, qui sont plus courtes et truffées de rebondissements. Avant de travailler avec cette clientèle, j’ignorais qu’on pouvait aller à la guerre de cette manière. Autant de sacrifices, ça force le respect », constate-t-elle.

« J’ai la chance d’être payée pour pédaler et m’entraîner. Beaucoup voudraient être à ma place. Je suis choyée de pouvoir vivre ce rêve. »  Karol-Ann Canuel

PHOTO: George Deswijzen

 

 

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