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Reportage, Québec

Les Cantons couleur garnotte

30-08-2021

Néophytes et experts de la caillasse trouvent amplement de quoi se sustenter d’un bout à l’autre des Cantons-de-l’Est. Vélo Mag l’a expérimenté.

On élève quelqu’un au pinacle lorsqu’on couvre cette personne de louanges, d’éloges. L’expression s’applique aussi bien aux individus qu’aux choses, comme cette route à la sortie du coquet patelin de Frelighsburg. Pour accéder au (très) bien nommé chemin du Pinacle, il faut d’abord s’extirper du fond de la vallée traversée par la rivière aux Brochets. Cette première bosse n’est qu’une mise en jambes ; après avoir signalé à droite, on continue de grimper sur environ 6 km. Le bruissement de la 213 s’évanouit alors. Le bitume fait place à la terre battue, alors que la campagne déroule une fine tapisserie de style Nouvelle-Angleterre. La suite est un délice qu’on sirote tranquillement, comme les excellents cidres locaux.

Je dois ce moment de pur ravissement sur deux roues à Alexi Richer et Karine Delage, les copropriétaires de Ravito gîte et vélo. Depuis quelques années, ce couple néo-frelighsbourgeois organise des séjours cyclistes guidés dans leur région d’adoption et ses environs. Leur week-end appelé Découverte du gravel bike, à la fin de septembre, m’intriguait tout particulièrement. Manifestement, on trouve autre chose que l’achalandée Joy Hill dans ce bout-là. Je voulais en avoir le cœur net. Quelques courriels plus tard, les deux cyclistes m’attendent pour une virée dans les meilleurs rangs de gravier de ce secteur transfrontalier, où la contrebande a longtemps sévi. Vouloir passer ailleurs, inaperçu, semble faire partie de l’histoire des lieux.

Après avoir gravi puis dévalé les flancs du mont Pinacle, nous contournons Sutton par Perkins, Alderbrooke, Dyer, une enfilade de routes secondaires boudées par la faune automobile. Après un bref intermède asphalté, nous renouons avec la garnotte sur le chemin de Mansville. De toute évidence, il aurait bien besoin d’être nivelé ; le revêtement est digne d’une planche à laver. Mes pneus de 28 mm Rubino Pro Graphene 2.0, montés sur ma bécane de route, font le travail. Comme partout dans les Cantons-de-l’Est, les chemins de traverse sont en terre battue lisse et relativement peu gravillonnée, des conditions parfaites pour s’initier en douceur au gravel bike. Même pas besoin de chausser plus large : Karine s’en tire très bien sur ses 23 mm. Stagecoach, Soles, Childhouse : la suite est dans la même veine. Sur le chemin Scott, la grange ronde de Lac-Brome attire le regard. Elle est l’une des rares du genre au Québec – il n’en resterait que sept en tout. À Dunham, notre trio est tenaillé par la soif. « C’tu un désert icitte ? » nous souffle à l’oreille la voix du vice. La négociation n’a même pas lieu : nous succombons à son appel d’un commun accord, le temps d’une broue, au Pub de la Brasserie Dunham. De quoi avaler rapido presto le retour par le chemin Garagona, bouclant ainsi une superbe entrée en matière de 70 km, dont 85 % hors route. J’en ai déjà plein les mirettes ; je n’ai pourtant encore rien vu.

Les « classes 4 »

David Bérubé m’a donné rendez-vous chez lui, à Bromont. Le veinard : il habite à proximité du Centre national de cyclisme, qui est alors animé par la fougue impétueuse des jeunes participants aux Camps 100 % vélo. Vous en connaissez des types qui ont un (futur) vélodrome couvert dans leur cour arrière ? Moi non plus. Dès mon arrivée, je fais connaissance avec l’administrateur de Graveleur Bromont, une page Facebook de tripeux de garnotte. « Ça fait six ans que nous les explorons, d’abord sur des vélos de cyclocross, aujourd’hui sur des montures destinées à la gravelle, me raconte-t-il. Nous ne faisons presque plus de route. Et quand nous en faisons, c’est sur des gravel bikes. » Pour l’occasion, David m’a justement déniché un Grade Carbon Pro, de GT, mouture 2020. Outre le caractéristique triple triangle cher à la marque américaine, ce gravel bike a la particularité d’offrir deux configurations de déport de fourche : l’une orientée vers la stabilité (55 mm), l’autre davantage portée vers la maniabilité (70 mm) pour un usage de type bikepacking. « Ça va te prendre ce vélo pour survivre aux classes 4, crois-moi », me glisse mon hôte en terminant les préparatifs. Des classes 4 ? Au Vermont, ce sont des routes non entretenues, souvent anciennes, parfois même oubliées, mais jamais déclassées aux yeux de la loi. Le Vermont Overland, un populaire événement de vélo de gravelle, met à l’honneur quelques secteurs de ces « pavés du Vermont », chaque année vers la fin du mois d’août. Les Cantons-de-l’Est ne sont pas en reste, bien au contraire. À la 40e borne de notre sortie (sur 94), dans les environs du mont Écho, notre petit groupe s’engage sur le chemin Boivin. La terre battue est rapidement remplacée par un semblant de chemin forestier. Fidèle à sa réputation, ce dernier n’a pas reçu d’amour depuis belle lurette : le ruissellement a fini par creuser de profondes rigoles dans la pente prononcée. Ajoutez un sol mou et irrégulier ainsi que de nombreux cailloux épars, et vous obtenez un joli casse-tête à résoudre, la face dans le guidon, et dans un équilibre précaire. Mes compagnons, forts d’une bonne expérience en vélo de montagne, passent sans problème. Pas moi : je pose le pied par terre après avoir pris une mauvaise ligne. Je jubile, pourtant.

Nous répéterons ce manège quelques instants plus tard au bout de Turkey Hill, avant de tourner sur Auclair. Un autre de ces chemins mal aimés s’offre à nous, cette fois sur fond de vitesse, de mares boueuses à contourner et d’adrénaline. Ça brasse le camarade. « Je suis prêt à parier que les 100 à B7 vont passer par ici », lance un des membres du groupe. « Pas sûr », lui répond un autre. « Il faut convaincre Tim. » Tim, c’est l’ex-coureur cycliste Timothy Johnson, le conjoint américain de l’olympienne et vedette locale Lyne Bessette, que mes « graveleurs » côtoient sur une base régulière. On m’explique que les parcours empruntés par la cyclosportive de la néo-politicienne changent chaque année, au gré de ses envies… et de la pression exercée par la douce moitié, elle-même téléguidée en partie par ma gang de crinqués. Le lobbyisme a cours partout, pas qu’à la Chambre des communes.

Le grand rien

Autre lieu, autres panoramas. Derrière le lac Massawippi, c’est la campagne, la vraie, qui s’impose. Nous sommes au pays des vaches, des dindons sauvages et des fermettes érigées au beau milieu du grand rien, quelque part entre Kingscroft, Compton et Hatley. Pour y circuler sur deux roues sans courir le risque de tutoyer un pare-choc, pas le choix : il faut emprunter les chemins en gravier qui sillonnent ces vastes terres agricoles. Le Club cycliste de Sherbrooke l’a bien compris. Depuis le printemps dernier, la vénérable organisation – elle existe depuis 1971 – s’est dotée d’un volet consacré au gravel bike. Tous les week-ends entre avril et novembre, les membres intéressés ont pu se joindre à une sortie estampillée « garnotte ». Plusieurs itinéraires (disponibles en ligne) mettaient justement en vedette le secteur.

Ce matin-là, Julien Gagné et Alexandre Deschamps, tous deux du CCS, me servent de guides. Et quels guides ! Julien, qu’on m’a décrit comme « l’un des plus talentueux cyclistes de la région », mérite sa réputation de marchand de watts. Cet ex-Silber a bourlingué aux quatre coins de l’Amérique du Nord pour prendre part à des épreuves prestigieuses – Joe Martin Stage Race, Tour of the Gila, Tour de Beauce, nommez-la, il l’a faite. Lui, aujourd’hui, roule mollo ; pas moi. Ni Alexandre, d’ailleurs. Son truc, c’est plutôt la fabrication de vélos sur mesure, un artisanat qu’il pratique avec sa micro-entreprise Cycles Lungta. Sa spécialité : le titane, qu’on ne peut souder à l’air libre sans en perdre les propriétés, m’expose-t-il. Le cadreur totalise cinq vélos à son actif, dont un de cyclocross/ gravel bike, qu’il étrenne pour l’occasion.

Au menu : une boucle de 95 bornes à 80 % hors route dans l’arrière-pays de la vallée de la Coaticook, à partir de la mine Capelton. Le plan tombe rapidement à l’eau, et c’est le cas de le dire : la pluie abondante des dernières heures a transformé notre itinéraire en véritable bourbier. On dit parfois que les routes de garnotte sont vivantes. Aujourd’hui, c’est bien vrai : elles sont grasses, molles, poussives. Bref, laborieuses à souhait. Les jambes pincent, le moral aussi. Lorsque je propose d’écourter la randonnée, mes partenaires opposent bien peu de résistance. C’est partie remise… jusqu’à la prochaine fois. Parce qu’il y en aura certainement une.

Des bons plans

Pour se poser : Espace 4 Saisons
Le parfait pied-à-terre pour les amateurs de vélo, et ce, peu importe leur allégeance. Certification Bienvenue cyclistes!, bonne bouffe, chambres douillettes, propositions de circuits dans les environs : cet hôtel situé à un jet de pierre du parc national du Mont-Orford (et de ses pistes de vélo de montagne) a tout pour plaire. Une valeur sûre. espace4saisons.com

Pour s’orienter : Carte vélo de Brome-Missisquoi
Brome-Missisquoi est la porte d’entrée des Cantons-de-l’Est à partir de Montréal. Ça tombe bien : on y trouve une forte concentration de routes de garnotte. Celle-ci est merveilleusement bien mise en valeur dans la carte vélo officielle 2018-2020 de « la région viticole du Québec ». C’est simple, recherchez les routes en pointillés.

Pour se ravitailler : Le Cafetier
Les vélos disposés à l’entrée et l’abondance de Lycra sur la terrasse sont deux signes qui ne mentent pas : le Cafetier, sur la rue Principale de Sutton, est un aimant à cyclistes. Et avec raison : tous y trouvent sans peine de quoi se rassasier avant, pendant ou après une randonnée. Membre du réseau Cafés de Village, un concept propre aux Cantons-del’Est. Quelqu’un a dit #coffeeride ?

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