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Destinations

Kamtchatka

06-11-2013


«Il n’est pas recommandé et il est dangereux pour des étrangers de voyager par leurs propres moyens au Kamtchatka… eta extreme ! En plus, plusieurs endroits sont interdits d’accès, comme toute la zone entre Klioutchi et Ust-Kamtchatsk, à l’autre bout de la route, au nord, et dans la vallée de Paratunka, tout près, où les étrangers peuvent fréquenter les établissements thermaux du côté ouest de la route, mais pas ceux du côté est», nous annonce l’un des deux officiers du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB), l’agence héritière du KGB soviétique, après nous avoir longtemps interrogés quant à nos « réelles » motivations à nous trouver sur leur immense péninsule sauvage tapissée de taïga et truffée d’ours bruns géants, moustiques sanguinaires et volcans hallucinants… La péninsule de l’extrême!

Dans leur bureau brun et dans un russe rudimentaire, il n’a pas été facile de les convaincre que nous avions déjà pédalé pendant cinq ans autour du Pacifique, à ratisser sa fameuse ceinture de feu, et que nous avions atterri au Kamtchatka dans l’intention de poursuivre notre expédition. Par contre, nous avons délibérément omis de leur dire que nous revenions d’une première mission «cyclovolcanique» accomplie aux volcans Vilioutchinsk, Moutnovski et Gorely, juste au sud de Petropavlovsk-Kamtchatski (P-K), la capitale de la région, et que nous avions justement trempé nos os dans les eaux chaudes et laiteuses d’un sanatorium vétuste de Paratunka datant de l’ancien régime et situé du… côté est de la route ! Nous avons conclu l’interrogatoire de 90 minutes en les assurant que nous respecterions ces règles, serions extrêmement prudents et nous rapporterions au terme de la prochaine mission à entreprendre : parcourir le cul-de-sac de garnotte de 1000 km qui constitue la majeure partie du réseau routier du Kamtchatka et nous séparait de Klioutchi, nous familiariser avec une dizaine de volcans chemin faisant… et peut-être pousser jusqu’au port d’Ust-Kamtchatsk sur le segment interdit!

La cantine mobile
Nous faisons donc le plein dans la capitale et mettons le cap vers le nord. Nous remontons une vallée qui nous conduit vers l’intérieur de la péninsule, l’antre du dragon Kamtchatka. À quelques dizaines de kilomètres de Ielizovo, où se trouve l’aéroport de P-K, nous passons devant un regroupement de ruines modestes, les vestiges aériens de Sokoch, une base militaire souterraine ultrasecrète et très active à l’époque de la guerre froide. D’autres bases du genre, navales surtout et abritant des sous-marins nucléaires, faisaient jusqu’à il y a une vingtaine d’années la renommée de la péninsule dont l’accès était restreint autant pour les gens du pays que pour les étrangers.


Quelques bornes plus loin, à l’intersection du chemin qui mène à Spassk-Dalni, hameau constitué de quatre ou cinq immeubles d’habitation de facture soviétique érigés en pleine brousse, les kvartira, des kiosques offrent des boissons aux voyageurs tandis que des babouchka (grand-mères) vendent des chaussons à la viande, des patates farcies et des croquettes maison transportés et étalés dans de vieux landaus et poussettes… Miam ! La cantine mobile du Kamtchatka!

La route franchit un premier col puis bascule du côté de la rivière Plotnikova, que nous suivons jusqu’à l’un des rares carrefours du réseau routier de la péninsule. À l’intersection, tout comme la Plotnikova, une voie file vers le sud-ouest, Ust-Bolsheretzk et le littoral marécageux de la mer d’Okhotsk tandis qu’une autre, la nôtre, poursuit vers le nord. Un poste de contrôle, marqué par une tourelle qui évoque les pénitenciers, meuble cette croisée des chemins de dernière frontière : «Dokument! Kanada? Kamtchatka na velocipiad… eta extreme ! Horosho ! Do svidaniya ! » Approuvant ainsi notre équipée et nous encourageant même, les officiers en uniforme ouvrent à peine nos passeports et nous remettent sitôt à la route qui se métamorphose en piste de pénétration… do svidanyia l’asphalte!

Nous empruntons un autre col, puis nous dévalons la route vers la rivière Bistraya. Dès que nous atteignons le fond de la vallée, un portail indique la voie à suivre, sur la droite, jusqu’aux sources d’eau chaude naturelle de Malky, modeste station balnéaire équipée de quelques chalets et d’une immense aire de camping bien prisée des habitants de P-K. On ne met pas de temps à repérer les étrangers, qu’on accueille à coups de rasades de vodka, plats de champignons sauvages marinés, cubes de sala (lard salé cru) et bols de soupe de têtes de poisson, la fameuse et délicieuse oukha!

L’homme qui a vu l’ours
Repus et détendus, nous remontons en selle le lendemain et roulons toujours plus en amont le long de la rivière Bistraya. Nous dénichons une petite clairière sur la rive du cours d’eau afin de passer une nuit plus tranquille, divertis seulement par les cabrioles d’une famille de zibelines. L’ascension progressive et poussiéreuse se poursuit jusqu’au point culminant de la route, quelque 525 m au-dessus du Pacifique, notre porte d’entrée dans la vallée du fleuve Kamtchatka. La chaîne sur le gros plateau, à descendre dans les 50 km/h, je rencontre mon premier medved (ours) du voyage. Comme il s’apprêtait à traverser la piste et que mon tintamarre l’a fait sursauter et rebrousser chemin en sauve-qui-peut, je m’arrête une cinquantaine de mètres plus loin et me retourne, pour le contempler à nouveau… et superviser le passage de ma partenaire ! Le colosse à la toison dorée et gavé d’oméga-3 – à l’instar de ses cousins vivant sur l’île Kodiak, en Alaska, les ours bruns du Kamtchatka atteignent des tailles phénoménales en raison de la richesse de leur diète : saumon et son caviar… (on estime que de sixième à un quart de tous les saumons du Pacifique sont originaires de la péninsule!) – revient tout de suite, puis parade impérialement sur la route, le temps de la croiser et de disparaître dans la taïga de l’autre côté ! Meilleure chance la prochaine fois, Janick!

Dans la grande plaine du fleuve Kam­tchatka, qui scinde la péninsule en deux depuis son embouchure dans le Pacifique, à Ust-Kamtchatsk, nous faisons escale à Milkovo, bourgade à vocation agroalimentaire, puis au village d’Atlasovo, vivant plutôt des produits de la forêt et l’un des plus anciens cantonnements russes de la région. Comme nous pataugeons dans la boue depuis quelques jours, sous des averses soutenues, nous décrétons la pause et nous installons à l’orée du village dans une usine de bois de sciage décrépite. Nous faisons du porte-à-porte dans le bled de maisonnettes, en quête de pain et d’autres denrées, carburant nécessaire pour continuer. Nous réussissons à emplir nos sacoches.

L’odeur du dragon
Revenus sur la route, nous poursuivons jusqu’à un véritable dédale hydrographique, où les rivières Bistraya (une deuxième de ce nom), Karakovaya et Krutinkaya rejoignent le fleuve Kamtchatka. Nous remontons la Bistraya jusqu’aux villages d’Anavgai et d’Esso, peuplés majoritairement de Koryaks, d’Itelmènes et d’Évènes, communautés indigènes qui élèvent des rennes sur les anciens plateaux volcaniques couverts de lichens qui surplombent la vallée. Esso est le point de départ des expéditions au volcan Ichinsky, l’un des plus massifs de cette terre de feu et de glace. Notre plan consistait bien à s’en approcher en pédalant plus profondément dans la brousse du parc naturel de Bystrinsky, mais comme les conditions météorologiques sont plus que défavorables, nous faisons une croix sur cette mission. Nous allons quand même nous délier les jambes et suivons notre jeune guide Dima, un Évène, sur les plateaux des monts Kozyrevsky, alpages pour rennes et zone de toundra juste au-dessus d’Esso.

Toujours dans la grisaille, parvenus là où nous avions laissé notre mission «cyclovolcanique» vers le nord, nous pédalons moins d’une heure, et la piste principale stoppe au fleuve, où un remorqueur amarré à une barge effectue la navette entre les deux rives et joue les traversiers. Nous franchissons ainsi le Kamtchatka, puis continuons de l’autre côté, besognant sur une longue section de cendres. Ça sent le volcan ! Ce n’est pas une surprise, mais le plafond atmosphérique d’une centaine de mètres occulte les coupables : les géants de lave et de glace du groupe Klyuchevskoy. Formé du volcan éponyme, pyramide de givre aux angles parfaits s’élevant à 4835 m, du Tolbatchik (3682 m), de l’Udina (2923 m), du Bezymianny (2882 m), de l’Ushkovsky (3943 m) et du Kamen (4585 m), cet ensemble comprend quelques-uns des membres les plus véhéments de toute la ceinture de feu du Pacifique. C’est justement cette constellation qui nous a attirés jusqu’ici ! Excités, nous souquons ferme dans la cendre, puis gagnons le village de Kozyrevsk. Nous convenons d’un arrangement avec des guides locaux qui nous conduisent en six roues motrices avec nos bécanes, notre barda et un couple de Moscovites au camp de base des volcanologues, dans le désert de scories jonchant le plateau d’où s’élève le Tolbatchik. Nous nous procurons des provisions dans les magasins et kiosques du village en prévision de passer quelques jours là-haut, de gravir le Tolbatchik dans le but d’obtenir un point de vue privilégié sur ses voisins en convulsion et de redescendre à vélo à travers la taïga. Ce combo auto-vélo nous semble un bon compromis : difficile de nous perdre en revenant ainsi sur nos pas. Les officiers du FSB approuveraient sûrement!

Promenade sur Mars
L’aller se complique, avec le camion de Sergei qui s’enlise dans un bourbier en pleine taïga, une halte de huit heures sur un circuit d’une centaine de kilomètres ! Arrivés en pleine nuit, nous découvrons avec émerveillement le lendemain matin les décors martiens des parages du Tolbatchik semés de la douzaine de petits cônes et dômes surgis des entrailles de la péninsule en 1976 lors d’une éruption de fissure magistrale – un nouvel épisode éruptif du genre est en cours depuis novembre 2012…

Les conditions sont idéales au début de l’ascension, cependant les nuages s’amènent lentement mais sûrement. Lorsque nous parvenons au sommet du Plosky Tolbatchik, ils nous ont rejoints et nous ne voyons plus à 100 m ! Nous nous contentons du spectacle de sa belle langue de glace pendillant dans le cratère du sommet, puis retournons à notre camp de base martien. Nous coulons quelques jours paisibles, explorant les alentours, savourant les levers du jour au-dessus de la vallée du Kamtchatka. Les volcans Ichinsky et Kronotsky apparaissant à l’horizon, mais toujours pas de vistas des lascars du groupe Klyuchevskoy!

Vient le temps de nous lancer dans la descente, de quitter cette planète minérale pour réintégrer le monde chlorophyllien et grouillant de la taïga. Sitôt les dunes de scories et de cendres noires derrière, roulant sur les traces durcies des camions, que l’enfer vert se dresse devant, ténébreux et strident! Les kamarov (moustiques) emplissent l’air, et les empreintes de medved abondent sur le sol. Nous progressons et nous égosillons, chantant notre répertoire à tue-tête afin de prévenir les ours de notre passage. En roulant sur un fond de boue qui semble sec, mon vélo se fait avaler jusqu’à la selle… heureusement que les traversées à gué des torrents du Tolbatchik suivent!

Au terme d’une descente de deux jours, nous regagnons Kozyrevsk puis attaquons vers Klioutchi, la piste principale contournant le plateau volcanique et parc naturel de Klyuchevskoy. Alors que nous prenons une pause sur un pont enjambant un autre torrent issu des neiges et glaces des géants crachant là-haut, le ciel s’entrouvre quelques instants, et soudain apparaît le Klyuchev­skoy, souverain. Nous jubilons, sautons pieds joints en bord de route et croquons la scène avec notre appareil photo avant que les nuages ne referment la fenêtre sur cette vision sublime. C’est une récompense en soi! Heureusement, car à Klioutchi, même si on sent la gang du Klyuchevskoy tout près, juste derrière en fait, et que le Chiveloutch, un autre volcan à la feuille de route fort impressionnante, est juste devant, sur l’autre rive du fleuve Kamtchatka, il fait un temps exécrable et la morosité l’emporte… ou notre sens du respect de l’autorité : nous rebroussons chemin jusqu’à Ielizovo, mi-pouce, mi-vélo!

Une fois «en ville», par un curieux hasard dont seule la Route connaît les rouages, l’une des familles les plus chaleureuses que nous ayons jamais rencontrées nous adopte jusqu’à la fin de notre séjour au Kamtchatka. Irina enseigne l’allemand et le français au lycée, Sergei est un ingénieur civil tout comme Kyril, leur fils, cet excellent bougre qui nous avait ouvert la porte de leur garage quand nous sommes débarqués à Ielizovo en pleine nuit. Nous partageons leur kvartira et les coulisses de leur quotidien tout en préparant notre ultime mission sur cette péninsule de l’extrême: visite aux volcans Avatchinski et Koryakski. Le plan consiste à remonter à vélo un lit de rivière asséché jusqu’au camp de base, y passer la nuit, grimper l’Avatchinski dont le sommet est coiffé d’un dôme de lave bien fumant en pleine effervescence et en redescendre… Miam ! Kamtchatka eta extreme!

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